En 2012 Internet vire à droite

Le 7 novembre 2011

La cote d'Internet grimpe pour 2012. Face à un PS à la ramasse, l'UMP tente de s'approprier la thématique, aux commandes d'un tank électoraliste. Quand Nicolas Sarkozy en fait une priorité de son agenda.

Nicolas Sarkozy veut célébrer Internet. Pour fêter ça, OWNI publiera début décembre un livre numérique sur les préparatifs de la campagne numérique.






Vincent Feltesse, chargé du numérique dans l’équipe de François Hollande, le reconnaît sans trop de problème : sur Internet, le programme du candidat socialiste à l’élection présidentielle, est bien ”a minima”, comme l’évoquait OWNI il y a deux semaines. Mais ”Ce que vous reprochez dans un article récent est valable pour bien d’autres choses que le numérique”, ajoute-t-il. Manque de temps ? Peu vendeur ? Ou simple désintérêt pour le web ? Le PS est à la ramasse sur Internet, face à une UMP en ordre de bataille pour 2012.

Il va falloir faire le reste

Côté PS, jusqu’à la nomination de François Hollande, le temps n’était pas à l’affaire. La stratégie était ailleurs : ”à la différence de Martine Aubry, il a choisi trois priorités, sans parler du reste. Il va falloir faire le reste”, nous explique un membre de l’équipe du candidat socialiste. Quitte à faire des boulettes, comme lors du rétropédalage laborieux sur le maintien d’Hadopi. Quitte aussi à perdre du temps.

Pas d’inquiétude dans les rangs du PS : la campagne ne prendra son rythme de croisière qu’en janvier, date à laquelle Nicolas Sarkozy, est censé – officiellement – sortir du bois. Les trois mois d’intervalle feront office de sas de décompression, après une primaire éreintante. Ils permettent aussi de recomposer les forces qui feront la campagne auprès de François Hollande : comment intégrer à l’équipe initiale les soutiens des rivaux d’hier ? Sur Internet aussi, l’attention du parti porte aujourd’hui sur le “qui ?” et non sur le “quoi”, même si Vincent Feltesse nous assure qu’il est ”en train de formaliser un programme”, structuré autour des thèmes du très haut débit, de l’économie numérique, de l’éducation et des libertés publiques et individuelles.

A en croire ce proche de François Hollande, le côté opérationnel lui, est pour le moment mis de côté. Aucun prestataire ne serait sur les rangs pour gérer la stratégie en ligne du candidat socialiste et l’éventualité d’un nouveau site pour 2012 reste à l’étude. Du côté de Solferino, des petites mains expliquent que la question est discutée en off, mais toujours pas tranchée. C’est d’ailleurs l’enthousiasme de ces abeilles ouvrières qui pourrait bien faire pencher la balance numérique en faveur du PS, en bousculant les faibles ambitions de François Hollande. Face à une équipe web hollandiste aux contours incertains au-delà de la seule personne de Vincent Feltesse, et dont l’unique fait d’arme est une application envoyant des messages automatisés à partir des comptes Twitter de militants, le siège du PS compte une dizaine de salariés dédiés au web. Jeunes, motivés et qui trépignent d’impatience à l’idée de proposer de nouvelles applications ou des sites innovants. Un bouillonnement qui devra faire rempart à une machine UMP dopée, et déjà en marche.

L’UMP réécrit l’e-Histoire

Dix personnes en interne, une quinzaine à plein temps du côté d’Emakina, boîte qui chapeaute la stratégie marketing en ligne du parti majoritaire, en relation permanente via Skype, sans oublier des modules de formation à Internet pour militants et élus chaque semaine en région… A droite, les rouages sont massifs, imbriqués et tournent pour que Nicolas Sarkozy, une fois déclaré, ”n’ait plus qu’à appuyer sur le bouton”, y compris sur Internet. Misant sur la réactivité, l’équipe de Baptiste Roynette, responsable du web à l’UMP, met en application les idées soufflées par Emakina : infographies sous licence Creative Commons diffusées sur Twitter, programme ouvert aux commentaires sur le site du parti, montage de vidéos courtes démontant l’adversaire socialiste. Sans oublier une plate-forme de veille qui prévoit différents “plans de réactions” en cas de crise, envoi de SMS inclus. Des initiatives se voulant geek-friendly, qui cherchent à rompre avec l’image anti-Internet de l’UMP. “On essaie de montrer tous les jours que notre sensibilité est forte sur les sujets du numérique”, nous explique le directeur adjoint de la communication du parti, Pierre Chassat, qui reconnaît que l’UMP ”avait du retard”.

Sur Internet, la communication est au mea culpa et à la transparence. Sur le fond, on mise sur l’expertise : une convention numérique scindée en deux événements réunissant des observateurs du réseau, un programme en 45 points (dont OWNI avait réalisé un comparatif : “Digitale Martine vs Télématique Sarkozy” ), une secrétaire au numérique politiquement peu clivante, Laure de La Raudière, dont les compétences sont reconnues dans le secteur. Dans la forme, le discours est au fair-play : en interne comme chez Emakina, on dit récuser les ”petites phrases”, la ”guéguerre”, pour ”privilégier le fond”. Et on accuse l’opposition ”d’agressivité, voire de méchanceté”. Les clichés sont retournés, l’e-Histoire réécrite.

L’épiphanie numérique de Nicolas Sarkozy

L’affaire entre Internet et la majorité ? A en croire les membres de l’UMP, elle débute en avril dernier, à l’occasion de l’établissement du Conseil National du Numérique (CNN) par Nicolas Sarkozy, et de la grand messe organisée à Paris, l’e-G8, en amont de la réunion des huit grands de ce monde. Loppsi ? Hadopi ? L’”Internet civilisé” ? Le temps des premiers accrochages est oublié. Du moins c’est ce dont l’UMP veut se convaincre, en essayant d’emporter l’opinion publique avec elle. Hors discours officiel néanmoins, on reconnaît la difficulté de se défaire de ce ”chewing-gum qui colle aux pieds de l’UMP” que demeure Hadopi. Une institution qui tente aujourd’hui de survivre à 2012 et qui représente à elle seule le fossé qui s’est creusé, au fil des années, entre Internet et la majorité. Pour le combler, et rogner la frange d’électeurs qui se situe sur l’autre bord, le parti de Nicolas Sarkozy devra assurer que ses lanternes numériques ne sont pas des vessies clientélistes.

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Une stratégie à laquelle le résident du Château semble vouloir se plier : vendredi dernier, lors d’un long déjeuner avec les membres du CNN1, il déclarait sa volonté d’organiser des ”journées du numériques”, la semaine du 5 décembre, pendant laquelle il devrait prononcer plusieurs discours sur le seul sujet d’Internet. Nicolas Sarkozy en pleine e-épiphanie ? C’est en janvier, quand il gardera certains éléments du programme bâti par l’UMP, pour en écarter d’autre, que la révélation numérique du Président prendra corps : purement pragmatique ou étrangement très geek.


Retrouvez dès début décembre une enquête signée Andréa Fradin et Guillaume Ledit sur la campagne numérique de l’UMP et du PS.


Illustration CC FlickR: Scott Beale / Laughing Squid

  1. Nicolas Voisin, directeur de la publication d’OWNI, est membre du CNN. Nos enquêtes sont indépendantes de son engagement personnel []

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