Hollande entreprend la culture

Le flou de l'après Hadopi, c'est du passé. Dans une tribune qui paraît dans Le Monde, le candidat socialiste affirme sa proximité avec les grands entrepreneurs culturels. Et enterre toute possibilité de licence globale. Surtout, selon nos informations, cette tribune reprend des recommandations des différents lobbys de la culture.

The battle for copyright (La bataille du copyright) par Christopher Dombres (cc)

François Hollande veut rassurer les auteurs. Et leurs représentants. C’est tout le sens d’une tribune publiée ce jour dans Le Monde, selon nos informations, confirmées par la direction de campagne. Avec ce message en antienne :

La gauche a toujours soutenu la création artistique et les créateurs.

Problème mineur

Si le candidat socialiste rappelle ces “principes essentiels”, c’est pour, indique-t-il, “aborder la question de la loi Hadopi qui fait débat.” A ce titre, le projet de tribune est sans ambiguïté : l’objectif est affiché dès les premières lignes. Et il consiste moins à définir le mécanisme de protection des droits d’auteurs que défend François Hollande, qui arrive bien plus tard dans le texte, qu’à assurer la communauté de la production culturelle des bonnes intentions du PS. A la manière d’un Nicolas Sarkozy à la tribune de l’e-G8, le candidat socialiste se place “dans la lignée de Beaumarchais”. Un cap, une “philosophie” qui, garantit-il, “ne changera pas” car :

La gauche soutient le droit des auteurs, tant moral que patrimonial, aujourd’hui comme hier.

L’apéritif terminé, François Hollande rentre dans le dur. Et affirme :“Je soutiendrai tous les dispositifs qui nous permettent de défendre notre culture, mais aussi notre économie : soutien à la production et à la création, gestion collective des droits, adaptation et protection de la chronologie des médias, lutte contre les contrefaçons, rémunération pour copie privée, défense des plateformes numériques innovantes.”

Et entame la partie indigeste : Hadopi. En gros, rien de nouveau : Hadopi a coûté cher, n’a pas contribué au financement de la création, soulève des questions en termes de protection de la vie privée ; critiques déjà formulées lors de sa première sortie sur le sujet en tant que candidat officiel du PS à la présidentielle, à Nantes, en janvier dernier. Le détail en revanche, est plus intéressant. Ainsi François Hollande avance qu’il “ne pense pas que la seule répression soit la réponse au problème posé.”. Ajoute que s’il ne faut pas “opposer [...] les créateurs et leur public”, “la protection des auteurs est également prioritaire”. Articulant les deux morceaux d’un “mais que les choses soient bien claires” bien senti. Et lâche un fatidique :

nous ne considérons pas le piratage comme un problème mineur. Nous soutiendrons et rendrons plus efficaces les actions judiciaires visant à tarir à la source la diffusion illégale des oeuvres protégées.

Enterrant ainsi définitivement toute éventualité de dépénalisation du téléchargement illégal. Car si la phrase vise d’abord les sites de streaming illégaux, rien n’interdit qu’elle inclue également les échanges peer-to-peer non marchands. Dont la légalisation avait été un temps envisagée, et même présentée comme un élément du programme de François Hollande par son équipe en charge de la culture, qui a depuis fait machine arrière.

Le 25 janvier dernier, Didier Mathus affirmait dans Le Nouvel Obs que “tous les dispositifs de répression de l’Hadopi [seraient] abandonnés” et que François Hollande opterait pour une licence globale en lieu et place d’Hadopi. Problème : aucun de ses points n’apparaît dans le programme paru dès le lendemain. Pire, son point 45, consacré à l’Hadopi, est par la suite modifié sous l’impulsion de la direction de campagne. “La genèse est simple : la proposition, rédigée tôt, ne collait pas avec le discours d’Hollande”, justifie une responsable à OWNI.

Hadopi en sursis

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Visiblement, le mot “usagers” posait problème. “L’article 45 a été réécrit car le mot ‘usagers’ a pu prêter à confusion : les gens comprenaient ‘internaute’ a récemment expliqué Fleur Pellerin, responsable numérique de François Hollande, à Libération. Or un ‘usager’, c’est celui qui utilise, et en l’occurrence qui utilise les plateformes légales. Donc l’idée n’était pas du tout de dire que l’internaute va être mis à contribution ; c’était de dire que les usagers vont participer au financement de la création via les plateformes légales sur lesquels ils vont payer des œuvres ou des abonnements, ou via des plateformes gratuites financées par la publicité.”

En clair : ceci est tout sauf dela licence globale, ce mécanisme consistant d’une part à autoriser les échanges non marchands et d’autre part à financer les auteurs via un mécanisme similaire à la redevance. Un mécanisme décrié et vertement rejeté par les tenants de l’industrie culturelle. Qui ont bien fait leur boulot.

L’étrange note de Monsieur Jack

La pression des ayants-droit sur les équipes du candidat PS a pris plusieurs chemins. Une note lui a ainsi été directement envoyée par le cabinet de Jack Lang à l’Assemblée nationale. L’occasion pour l’ancien ministre de la Culture, toujours enclin à défendre ce milieu, de faire savoir son opposition frontale à toute forme de licence globale. Opposition que François Hollande semble aujourd’hui partager. Au moment de son ralliement au candidat pendant la primaire, Jack Lang avait d’ailleurs souligné la proximité de leur position respective sur Hadopi.

Les métadonnées de cette étrange note indiquent qu’elle a été rédigée par Jean Cazès, producteur de films et membre du Club européen des producteurs, un lobby de l’industrie cinématographique. Véritable charge, cette “Note à l’attention de François Hollande sur Hadopi et la licence globale” démarre sur les chapeaux de roue :

La licence globale n’est pas une solution appropriée à la piraterie des œuvres musicales, audiovisuelles, cinématographiques, et bientôt des livres.

La suite est à l’avenant. Après avoir comparé la légalisation des échanges non-commerciaux de contenus audiovisuels au fait de “donner un accès libre et gratuit aux boulangeries, ou aux fast-foods”, l’auteur rappelle l’incompatibilité de la licence globale “avec les traités internationaux dont la France est signataire, en matière de droit d’auteur”. Traités qui empêcheraient la mise en oeuvre de cette alternative à côté de laquelle “rien ne pousse, rien ne peut exister”, à tel point qu’elle provoquerait “la mort assurée de la télévision payante et du téléchargement légal”. Rien que ça.

En conclusion, il est conseillé au candidat socialiste de faire évoluer l’Hadopi, “dont l’efficacité est limitée, même si sa valeur symbolique est importante”, en affirmant “que la solution ne saurait être une licence globale”, comparée pour enfoncer le clou une dernière fois à “un danger mortel”.

Les lobbyistes à la manœuvre

Les préconisations transmises par Jack Lang à François Hollande ne déplairaient sans doute pas à Pascal Rogard, omniprésent directeur général de la puissante Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), fondée en 1777 par… Beaumarchais. “Jack Lang pense comme moi”, nous assure-t-il, avant de préciser que dans le cadre d’une présidentielle, il est normal pour une institution qui défend les droits des auteurs de rencontrer les candidats. Un lobbying assumé et détendu, pour faire pendant à ce qu’il qualifie “d’hystérie anti droit d’auteur”. Cette mission peut se mener au grand jour, comme lorsque la SACD fait parvenir une lettre à François Hollande, qui lui répond dans la foulée [PDF]. Ou lorsqu’avec la Société civile des auteurs multimédia (SCAM) elle lance un site Internet visant à promouvoir ses propositions.

Mais comme souvent, le plus intéressant se trame dans l’ombre. La révision du point 45 semble être issue de ce type de lobbying feutré. Court-circuitant Aurélie Filippetti et Fleur Pellerin, les représentants des ayants droit sont allés directement frapper à la porte du directeur de campagne. Pierre Moscovici aurait entendu les arguments d’un Pascal Rogard, selon lequel “quand on autorise quelque chose en matière d’Internet, on ne s’arrête pas aux frontières de la France”. Avant même d’avoir pu émerger, le débat sur la possibilité d’une forme de licence globale ou de contribution créative est enterré.

Les représentants du disque, du cinéma et du livre ne sont pas en reste dans cette lutte d’influence auprès du candidat socialiste. Dans un article récent, Libération évoquait le lobbying actif de Florence Gastaud, déléguée générale de la Société civile des auteurs, réalisateurs et producteurs (ARP). Plusieurs personnalité du monde de la culture ont également leur relais auprès du candidat. On se souvient de la “lettre des cinéastes” à François Hollande publiée à l’initiative du réalisateur Bertrand Tavernier.

Ces multiples tractations aboutissent donc aujourd’hui à une clarification du candidat socialiste sur la question du droit d’auteur à l’ère numérique. Rejetant toute reconnaissance des échanges non marchands, François Hollande compte mettre en place le fameux “Acte 2 de l’exception culturelle française” en mettant tous les acteurs autour d’une table. Gageons que lobbyistes des industries culturelles et défenseurs des ayants droit sauront s’y faire une place, tant en France qu’au cours d’hypothétiques “Assises européennes des industries culturelles sur Internet”, que le candidat appelle également de ses vœux.


Illustration par Christopher Dombres (CC-BY)

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