Les milices fleurissent aux Pays-Bas
OWNI publie ce témoignage signé Marco Bertolini consacré aux milices néerlandaises. C'est l'histoire d'un citoyen installé dans un quartier bucolique des Pays-Bas et qui découvre un matin que les autorités néerlandaises font appels à des citoyens bénévoles. Autour de lui, de paisibles pères de famille s'éclatent dans des milices de quartier. Un récit initialement paru chez nos amis de MyEurop.
Ce matin-là , coincée entre des factures, une enveloppe bleue du fisc néerlandais et les habituels journaux publicitaires, je pique une enveloppe blanche, de format A5, destinée “aux habitants de cet immeuble”. Je m’attends à une campagne de récolte de dons ou une invitation à une démonstration de lingerie coquine. Mais non: c’est une lettre, accompagnée d’un formulaire d’inscription. Elle porte le logo de la municipalité où je réside et celui d’un “réseau citoyen”: BurgerNet. Sous ce dernier, une mention étrange: “région de Sécurité, Sud-Limbourg”.
Intrigué, je lis le contenu: il s’agit d’une invitation, oui, mais à participer à un réseau de volontaires. Des citoyens qui aident la police à repérer tout individu suspect, personne disparue, auteur d’attaque ou d’incendie dans le quartier. Si la collaboration avec la police résonne toujours mal aux oreilles francophones, évoquant des périodes sombres de l’histoire, il en va tout autrement dans le monde anglo-saxon et germanique, où la participation des citoyens au travail policier est perçu comme une contribution à la vie de la communauté.
Après avoir parcouru rapidement le courrier, signé par le maire et un de ses adjoints, je me connecte au site Internet pour en savoir plus. BurgerNet est né de l’idée d’un ex-policier de Rotterdam en 2008. En 2009, il a été expérimenté dans neufs communes des Pays-Bas. L’évaluation du projet-pilote était positive et les autorités ont donc décidé de l’implanter partout dans le pays. Aujourd’hui, il est actif dans 150 municipalités et compterait 400 000 membres.
En réalité, il est difficile de savoir combien sont actifs ou sont inscrits dans deux localités au moins (la résidence et le lieu de travail, par exemple). Le mode de fonctionnement de BurgerNet est très simple: vous vous enregistrez au système via le site Internet. Si quelque chose se passe dans votre quartier, vous recevez un SMS ou un appel vocal sur votre téléphone mobile. Il peut s’agir d’un cambriolage, d’une personne disparue, d’un délit de fuite, etc.
Votre rôle est d’ouvrir l’œil afin de repérer la personne ou le véhicule signalé. Si c’est le cas, vous appelez gratuitement le numéro 0800-0011 où vous serez mis en contact avec un policier du centre de communications. De cette manière, vous aidez la recherche et vous contribuez à une environnement plus sûr, m’explique le maire du village dans sa missive.
400.000 paires d’yeux vous surveillent
Pour Ivo Optelten, ministre de la sécurité et de la justice, “BurgerNet a dépassé les espérances”. Son taux de résolution d’affaires est de 9 % pour l’ensemble du pays, mais dans la province septentrionale de Groningue, ce taux atteint 22 %. Il faut préciser que là -bas 24.500 citoyens participent à l’action !
Mais ce type de système, comme tout dispositif d’origine humaine, peut connaître des failles. BurgerNet n’est pas à l’abri d’une erreur comme en témoigne l’accident survenu en mars 2011: des citoyens d’Utrecht ont eu la surprise de recevoir un email leur demandant de participer à une enquête. Courriel dans lequel figurait des centaines d’adresses de participants au réseau, alors que celui-ci garantit l’anonymat de ses sources ! Ce dispositif a aussi un coût: pour la commune d’Utrecht, ville de 360 000 habitants, le coût d’introduction serait de 200 000 euros pour les six premiers mois et de 125 000 euros par an, pour les années suivantes.
Tout ceci explique-t-il pourquoi BurgerNet ne rencontre pas un succès fulgurant dans toutes les communes qui font appel à son réseau ? A Zuidoost (Sud-Est, une division administrative d’Amsterdam), seuls 825 habitants sur 65 000 se sont inscrits au programme. Le porte-parole de la ville, Éric Weber, met cette faible participation sur le compte de la “diversité du quartier”, principalement habité par des Anglophones, notamment une forte communauté ghanéenne.
BurgerNet tente à présent de recruter des jeunes, se concentrant surtout sur les 16-24 ans. Le “réseau citoyen” organisera bientôt des activités dans des écoles et des associations de jeunes. Il y aura deux iPads à gagner. Le site Omroep Gelderland explique :
La raison est simple, les jeunes sont souvent dans la rue et par conséquent d’excellents yeux et oreilles pour la police lorsque le besoin s’en fait sentir
On peut tout de même s’interroger sur l’enrôlement de jeunes de cet âge dans un réseau dont l’objectif est la coopération policière. Et surtout, qui garantit qu’ils ne prendront pas de risques inutiles lorsqu’ils apercevront un voleur ou un véhicule suspect ? Les participants au réseau ne reçoivent aucune formation, ni technique, ni éthique. Si les avantages du réseau sont réels – les enfants perdus ou des personnes dépressives rapidement retrouvées, par exemple – les risques sont sans doute tout aussi réels. Surtout avec des jeunes peu, voire pas préparés.
Des citoyens-policiers bénévoles
Autre volet de la coopération citoyen-police qui étonne hors des Pays-Bas, les policiers volontaires. Aux Pays-Bas, c’est déjà de l’histoire ancienne, puisqu’ils existent depuis 1948 et sont constitués en Organisation Nationale de la Police Volontaire depuis 1973, la LOPV (Landelijke Organisatie van Politie Vrijwilligers). En septembre 2011, ils étaient environ 2300, répartis dans les différents corps de police. Mais le ministre de la sécurité et de la justice, Ivo Optelten, souhaite atteindre le nombre de 5000 avant 2015. Ce qui correspondrait à la situation des années 1980, où la police volontaire comptait plus de 6000 membres.
Souvent, ces volontaires ont une profession principale – ils sont imprimeurs, secrétaires, vendeuses, mécaniciens, etc. – et consacrent quelques heures par semaine à leur “second job”. Ils remplissent des missions telles que de petites enquêtes, ils règlent le trafic ou conduisent même de petites enquêtes pour leurs collègues professionnels. Pour le moment, ils ne portent pas d’arme à feu. Mais cela n’a pas toujours été le cas: jusqu’en 1993, les volontaires portaient un pistolet. En 2009, un “groupe d’experts” issu des rangs de la police volontaire considérait qu’au terme d’une formation similaire à celle des agents professionnels, les volontaires devraient retrouver leur cher pistolet. Mais les syndicats policiers s’y sont opposés.
Si le ministre de la sécurité et de la justice, se montre très enthousiaste et appelle de nouveaux volontaires à s’engager dans la police, d’autres, des professionnels, se montrent plus sceptiques. Ainsi, Bernard Welten, l’ancien commissaire en chef de la police d’Amsterdam, déclarait lors d’un entretien pour le magazine Vrij Amsterdam daté du 29 octobre 2011:
J’ai un avis nuancé sur l’engagement d’une police bénévole. Le ministre veut envoyer les volontaire dans la rue. Les policiers – hommes ou femmes – sont des professionnels. Personnellement, je ne me laisserais pas soigner par un dentiste volontaire. J’engagerais volontiers des volontaires pour des tâches administratives, pour que mes agents puissent accomplir leur travail à l’extérieur.
Welten est loin d’être un amateur sentimental: partisan de la fouille corporelle préventive, c’est aussi un ardent défenseur des “caméras intelligentes”. Il s’est souvent opposé à son “patron”, l’ex-maire d’Amsterdam, le travailliste Job Cohen, notamment sur la collaboration avec les mosquées.
Mais ce professionnel qui a commencé sa carrière en 1978, détenteur de diplômes en droit, en management et titulaire d’un doctorat en sciences politiques, connait les exigences d’un métier qui expose les policiers à des dangers mortels. Et qui les place aussi au cœur de la vie publique, qui leur donne accès à des données confidentielles sur vous et moi, et aussi, un certain pouvoir que seuls une formation et un encadrement rigoureux peuvent cadrer dans l’esprit d’une société démocratique !
D’autres opposants, comme le député écologiste Tofik Dibi (GroenLinks), soupçonnent Opstelten de vouloir enrôler davantage de volontaires pour se dégager de sa promesse: engager 3000 nouveaux policiers professionnels. Quant à la refonte des corps de police municipaux en une seule et unique police nationale, annoncée à grands cris lors de la campagne électorale, elle est reportée aux calendes grecques, faute de moyens.
Certaines missions de police touchent à des domaines si délicats de la vie publique et privée qu’elles devraient être confiées uniquement à des professionnels rigoureusement soumis au contrôle démocratique. Et non pas abandonnés aux citoyens, si motivés et si bien intentionnés soient-ils. Qui portera les responsabilités d’une “bavure” ? Et plus fondamentalement, n’est-ce pas une des tâches fondamentales d’un Etat que d’assurer l’équilibre entre ordre public et vie privée, entre sécurité collective et libertés individuelles ?
Article initialement publié sur MyEurop
Photos et illustrations sous licences Creative Commons par Gato Gato Gato ; Dr John 2005 ; Cayusa ; What What remixes par Ophelia Noor pour Owni
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