Après 2050 l’espèce humaine s’éteindra

Le 18 janvier 2012

Constat guère réjouissant, mais espoir tout de même, mardi au Tribunal pour les générations futures. Procureur, accusés s’affrontaient lors d’une conférence spectacle en forme de procès. Au cœur du débat : la surpopulation. Sommes nous trop nombreux pour les ressources de la planète. Mais surtout allons nous demeurer aussi nombreux. Pas si sûr, selon des démographes.

Hier, l’INSEE communiquait ses derniers relevés de la population française, mettant en évidence une croissance de dix millions d’âmes en trente ans. Projetés sur une très longue période, ces résultats s’avèrent dérisoires. C’est l’un des constats qui s’imposaient hier soir à la Gaité Lyrique, à Paris, lors du troisième “Tribunal pour les générations futures” consacré à la démographie mondiale et à la place de l’homme sur Terre vers 2050. Un procès-spectacle organisé par nos amis du magazine Usbek & Rica.

Comme dans tout bon procès, la parole est à l’expert, place à l’objectivité. Gilles Pison, démographe à l’INED, est appelé à la barre. Chiffres sous le coude, il illustre une “situation exceptionnelle” :

Pour parler du futur, nous devons remonter le passé, 2000 ans en arrière. Nous étions alors 250 millions d’habitants. La population n’a pratiquement pas augmenté, jusqu’en 1800. Entre 1927 et 2012, brusquement, les chiffres ont grimpé en flèche.

À titre d’exemple, entre 1800 et 2000, la population Européenne a été multipliée par quatre. Comme le rappelle l’expert, “quatre bébés naissent par seconde. Comme deux personnes meurent aussi par seconde, cela fait deux personnes en plus chaque seconde.” Et d’expliquer pourquoi ce changement si soudain, à partir du XIXe siècle :

Autrefois, les familles faisaient six enfants en moyenne, mais la moitié mourrait en bas âge, la population n’augmentait donc pas. Avec le progrès technique, la découverte des vaccins, la mortalité des enfants a baissé et un excédent des naissances sur les décès est apparu (…) Les gens se sont rendu compte que les enfants avaient un coût, alors ils ont limité les naissances à deux enfants par couple.

Un nouvel équilibre est alors apparu, en Europe, en Amérique et en Asie. Seule l’Afrique connaît une transition démographique “un peu plus tardive”, mais d’après Gilles Pison, “elle finira elle aussi par rejoindre l’équilibre.”

L’expert nommé par le “Tribunal pour les générations futures” passe maintenant la population humaine dans le simulateur de l’INED et expose les différents scénarios imaginés par les Nations Unies. D’abord, celui de l’extinction, causée par le modèle des familles de très petite taille :

Si les pays en voie de développement copient les pays où la transition démographique est achevée et font moins de deux enfants par femme, de façon durable, la population mondiale, après avoir atteint un maximum de 9 milliards d’habitants, diminuera inexorablement jusqu’à l’extinction à terme.

Passé le scénario “irréaliste” d’un niveau de fécondité constant, où la population atteindrait 134.000 milliards en 2300, Gilles Pison en arrive au scénario “moyen”, celui du retour à l’équilibre, avec une fécondité stabilisée à deux enfants par femme, assez pour assurer le remplacement des générations :

En 2050, la population mondiale atteindrait les neuf milliards et se stabiliserait à ce chiffre. Mais ce scénario ne fait qu’indiquer le chemin si l’on veut que l’espèce ne disparaisse pas. La fécondité baisse partout sur la planète sans qu’il y ait besoin d’imposer le contrôle des naissances. Ce n’est pas la question du nombre des hommes que l’on doit se poser, mais plutôt celle de la façon dont ils vivent. Sommes-nous trop nombreux, ou consommons nous trop ? Ce sera mon dernier mot.

Quittant la barre, l’expert est vite remplacé par le premier accusé. La parole est à Didier Barthès, de l’association écologiste Démographie Responsable. Face à “l’explosion démographique”, l’accusé fait le pari que “la question écologique sera au coeur des préoccupations futures, ou alors le monde deviendra invivable, sans forêt, sans animaux… En fait, nous n’avons pas le choix !” A Démographie Responsable, on milite pour un contrôle des naissances. Didier Barthès s’insurge contre la croisade faite contre les “malthusiens” :

On nous traite de tous les noms, fascistes, eugénistes, antihumains, même. Jamais nous n’avons prôné une quelconque sélection, et on ne propose pas de tuer les gens ! Nous vivons une époque exceptionnelle, nous n’avons jamais été aussi nombreux et ça ne durera pas. “Croissez et multipliez”, c’est une belle phrase, mais qui a été écrite il y a 2000 ans, dans un monde où il n’y avait que 200 millions d’habitants.

Comment éviter le cataclysme ? Pour l’accusé, “on peut changer notre consommation d’énergie, recycler, ça ne changera rien au fait que nous grignotons la planète en consommant de l’espace !” Une consommation qui se traduit par une élimination du reste du vivant :

En 110 ans, nous avons éliminé 97 % des tigres. Voulons-nous d’un monde en bitume, sans vie ? L’humanisme, c’est avant tout ne pas détruire le reste du vivant, tout en assurant la durabilité des sociétés.

En guise de conclusion, Didier Barthès propose de limiter les naissances à deux enfants par femme dans les pays occidentaux. “Si nous redescendons vers une évolution plus douce, si nous allons vers une modestie démographique, nous éviterons l’extinction qui nous guette.”

Sur ces paroles qui résonnent lourdement dans le tribunal, Théophile de Giraud, écrivain et inventeur de la Fête des Non-Parents, fait une entrée fracassante. L’accusé, auteur d’un manifeste antinataliste, s’avance, pose sur le pupitre un biberon rempli de bière. Il sort un pistolet factice, et commence lentement à se déshabiller : “Il faut regarder les choses en face, la vérité est nue !”

Au-delà du show, l’accusé n’oublie pas son discours. Et se met à citer Marguerite Yourcenar, qui répondait à Matthieu Galey, dans Les Yeux ouverts :

L’explosion démographique transforme l’homme en habitant d’une termitière et prépare toutes les guerres futures, la destruction de la planète causée par la pollution de l’air et de l’eau.

Théophile de Giraud est accusé par le procureur Thierry Keller de “haïr l’humain”. Non, répond l’accusé, dans sa nudité originelle : “On ne questionne pas le désir d’enfant, avons-nous le droit de mettre un enfant au monde, et si oui, sous quelles conditions ?” L’écrivain s’attaque au concept de décroissance.

La décroissance économique est impossible, les pays en voie de développement veulent nous rejoindre et ces gens ont le droit de connaître notre confort. Mais la décroissance démographique, c’est possible ! Vive le dénatalisme ! Laissons les femmes choisir, elles préfèrent la qualité à la quantité.

Le plaidoirie de l’accusé a de quoi surprendre : “La planète est plus que trop “surpollupeuplée” ! Cela n’a rien à voir avec le progrès ou le mode de vie, on a l’exemple de civilisations sans technologie qui se sont effondrées, comme l’Île de Paques. Le problème, c’est la quantité de population sur un territoire donné. Nous agonisons sous le poids du nombre !” En brandissant son arme factice, l’accusé conclut :

La natalité est un crime contre l’humanité, vos enfants connaîtront les guerres pour l’accès aux dernières ressources disponibles… Si vous aimez vos enfants, ne les mettez pas au monde !

C’est au tour du procureur de parler. Thierry Keller est rédacteur en chef du magazine Ubsbek & Rica. Dans son dernier numéro, le journaliste reprend la théorie de Christian Godin, philosophe, qui affirme que l’humanité s’éteindra d’elle-même. Cela se passera autour de l’année 2400.

Il n’y aura pas besoin de faire la guerre, nous disparaîtrons par manque de motivation. Cette fameuse explosion démographique, c’est en réalité un mouvement vers la décélération démographique, puis l’extinction. Sommes-nous trop nombreux ? En fait, nous aurions dû poser la question autrement : serons-nous assez nombreux demain ?

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Si en seulement 50 ans, nous sommes passés de trois à six milliards d’individus, les taux de fécondité s’effondrent. En Russie, 142 millions d’âmes, la population descendra à 110 000 en 2100, selon la simulation de l’ONU. Au Maroc, elle passera de 31 millions aujourd’hui à 39 millions en 2050, mais chutera jusqu’à 33 000 habitants en 2200. Scénario digne du roman Les Fils de l’homme, de P.D. James.

Pourquoi cette baisse de fécondité ? Parce que, par peur du lendemain, par hédonisme, nous n’avons plus envie. L’enfant encombre, on pense à aujourd’hui avant demain. Nous ne pouvons pas disparaitre ainsi, avant d’avoir résolu certaines énigmes, d’où nous venons, où nous allons. L’aventure humaine ne doit pas se terminer !

Défenseur de la natalité, Thierry Keller s’adresse alors au jury, quatre personnes tirées au sort parmi le public : “Nous avons encore des choses à faire sur Terre. Jury, vous incarnez les générations futures, je vous demande ce soir de voter non à la question “sommes-nous trop nombreux ?””

Réponse unanime du jury : le non l’emporte. Les accusés, les antinatalistes, sont donc jugés coupables. En apparence, du moins. Se détachant du groupe de jurés, Mathilde, 23 ans, explique son vote :

On devait choisir si oui ou non nous étions trop nombreux sur Terre… Ma réponse, c’était ni oui ni non, je trouve ce choix, entre vivre dans un monde pourri ou s’éteindre doucement, trop manichéen. Les deux solutions sont trop extrêmes.

La jeune graphiste se range “volontiers du côté de l’expert, qui est resté objectif. J’attends de voir, il doit bien exister un juste milieu.” Comme pour lui faire écho, Gilles Pison, en sortant du tribunal, lance :

Le modèle humain n’est pas celui des mouches qui vivent dans un bocal. La population évolue de l’intérieur, c’est avant tout une question de choix. A long terme, notre survie dépendra plus de nos comportements, de notre consommation des ressources, que de notre contrôle des naissances.

Illustration : Nils Glöt pour Usbek & Rica
Photos : Ophelia Noor pour Owni /-)

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