Ecrans de fffuuu mée

Le 1 juillet 2011

Andréa a fait ses armes à Écrans, elle aime le Net, du plus humble LOLtoshop à un Grand sujet comme les libertés numériques. Alors elle est triste de voir le site fermer, et son chagrin est aussi celui d'OWNI.

Ce matin, j’ai la gueule de bois. Écrans est mort. Ou presque : son enterrement a été célébré la veille, au sein des locaux de Libération, au niveau de la plate-forme “Culture”. Après quatre ans d’existence, le site “de tous les écrans” du journal, sur lequel dépiotage d’Internet, LOLeries en tous genres et bêtes à poils cohabitent en toute sérénité, voit son équipe non renouvelée. Une situation inacceptable pour son chef de toujours, Erwan Cario, qui jette l’éponge.

Alexandre Hervaud, twitto jovial dont le nombre de CDD rue Béranger n’a d’égal que le volume de films nazes visionnés et commentés (j’exagère à peine), s’est vu refuser la signature d’un contrat en CDI. Camille Gévaudan, wikipedienne experte et caution Pokemon-kawaï du site, est obligée, c’est la loi, d’entamer une période de carence à la suite de son CDD. La direction lui garantit un retour en octobre. En CDD, encore. Jusqu’à ce que la situation se répète, qu’un CDI lui soit refusé et qu’elle aussi se voit obligée de partir. Stagiaires, CDD : il n’a jamais été question que de précarité à Écrans. Comment construire dans ces conditions ?

Libération prend l’engagement d’assurer la continuité éditoriale d’ecrans.fr. Ce site n’est pas menacé d’extinction.

C’est en ces termes, adressés à tout Libération, que Nicolas Demorand a répondu aux inquiétudes de l’équipe, affirmant que deux nouveaux CDD pourraient être créés, pour “assurer, dit-il, la continuité éditoriale du site ecrans.fr.”

Proposition à laquelle Erwan Cario a opposé une fin de non-recevoir (l’intégralité du texte ci-dessus) :

Tu as envoyé un mail à toute l’équipe concernant l’avenir d’Ecrans.fr sans même avoir évoqué avec moi depuis l’AG les sujets que tu abordes. Et ce texte, qui me pousse à cette clarification publique, ne contient aucune information nouvelle et ne fait que confirmer une décision prise depuis longtemps: continuer avec une équipe constituée d’un CDI et de deux CDD renouvelés jusqu’à épuisement. [...] Depuis un mois et demi, à chaque occasion, je t’ai expliqué que je renoncerai à l’aventure passionnante qu’est Ecrans.fr si Libération se refuse à pérenniser mon équipe. A chaque fois, tu as acquiescé. Ce n’est ni un caprice, ni un ultimatum, mais le simple constat que Libération ne veut pas ou ne peut pas se donner les moyens d’une présence éditoriale forte sur les sujets importants que sont les nouvelles cultures numériques et l’impact d’Internet sur toutes les strates de la société. Aujourd’hui, je ne peux plus assumer la responsabilité d’un projet auquel je ne crois plus dans les conditions qui me sont proposées. [...]
Erwan Cario, ex-responsable d’Ecrans.fr

La précarité de la situation d’Écrans, ainsi que d’autres changements souhaités au sein du journal, ont conduit Libération à organiser une motion de défiance à l’encontre de son tout nouveau directeur de la publication, Nicolas Demorand. 80% de participation, plus de 78% de votes favorables. “Un coup de batte de base-ball dans la nuque”. Pas suffisant néanmoins pour changer le cours des choses et assurer la pérennité d’Écrans. D’autant qu’un projet comme Next, véritable appeau à annonceurs, se développe depuis un moment.

Période trouble

J’ai été formée à Écrans. J’y ai entamé la construction d’une compétence, l’enrichissement d’un intérêt pour Internet et ses ramifications fascinantes. J’ai pu y écrire tant des analyses de sujets complexes comme la neutralité des réseaux que des revues de choses drôles, belles, absurdes, vues sur le “trois w”. Et l’une comme l’autre recevaient la même considération, aucun sujet n’était plus “noble”. Chaque progéniture d’Internet méritait un même Å“il attentif et bienveillant.

Avec la fin d’Écrans, les difficultés rencontrées par 01.Net ou même la période trouble que nous avons traversé ici, à OWNI, je m’interroge sur l’avenir du journalisme sur et à propos d’Internet.

Lors de mes premiers stages, en 2007, j’avais été surprise par la violence des journalistes à l’égard du support. “Je ne veux pas être un presse-bouton” était la rengaine classique dans les rédactions investies par le web. Ne parlons pas du traitement réservé à la thématique, reléguée au rayon “Insolites”, ou “buzz”. Le journalisme web amoureux du web était le renégat du milieu. Incarnant la menace que faisait peser l’inévitable “convergence numérique” sur les titres traditionnels, il traitait, dans un même temps, de sujets échappant complètement aux journalistes. Menace double. Résistances.

Dans une étude intitulée Le journalisme après Internet1, le sociologue Yannick Estienne écrivait :

La question de l’identité des journalistes en ligne reste ouverte, et l’accès à la reconnaissance reste une gageure.

Achevée en 2006, son enquête et les conclusions qu’il en tire restent valables à ce jour.

En 2011, les partis s’emparent de la question du numérique. Il est dit qu’Internet est porteur de 25% de la croissance sur les trois prochaines années. Edwy Plenel frémit en parlant de WikiLeaks. Rue89 obtient 200.000 euros de Claude Perdriel, dont la majorité ira à la formation d’un pôle data, en se posant comme le “laboratoire” du Nouvel Observateur.  Acculturation.

Pourtant, la considération de notre métier et de ses valeurs semble ne pas avoir évoluée. La reconnaissance de cette particule “web”, encore encombrante pour beaucoup, est restée au point mort. Les mêmes acteurs continuent à battre les cartes, ici ou sur le papier; continuent à transposer les vieilles recettes sur un support aux possibilités d’innovation pourtant infinies.

fuuuuuuuuu

Nous sommes webjournalistes et nous en sommes fiers. Nous croyons en la métarédaction et en l’horizontalité, à la convergence des énergies et des expertises. Nous croyons en la possibilité d’un autre journalisme. En ce sens, nous en rognons la rente, nous lui faisons violence. Nous sommes des petits cons. Et fiers de l’être.

Et vous qu’est-ce qu’on vous a dit, petits cons des interouèbes ?

Sabine : quelques semaines après ma première prise de poste, comme “journaliste webmaster” (“hey, Sabine tu me répares l’imprimante ?” “Non, j’ai fait des études de lettres.”), un baron de la rédac’ a dit, bien fort, devant tout le monde, “le web, j’en ai rien à branler”. Aujourd’hui retraité, il a un profil Facebook, un iPhone, un blog – il m’a d’ailleurs demandé des conseils à ce sujet, que je lui ai volontiers donnés -, et il twitte. Mais je ne le followe pas.

Images CC Flickr PaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales EPIC FU

Pour ceux qui n’ont pas compris le titre, des indices ici.

Téléchargez la belle une de Elsa Secco

  1. ESTIENNE Yannick, Le journalisme après Internet, p.140 []

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