OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Fashion victim du copyright http://owni.fr/2012/10/24/fashion-victim-du-copyright/ http://owni.fr/2012/10/24/fashion-victim-du-copyright/#comments Wed, 24 Oct 2012 16:45:20 +0000 Lionel Maurel (Calimaq) http://owni.fr/?p=123974

Georges Hobeika, Haute Couture Spring Summer 2010 (cc) Ammar Abd Rabbo

Les lecteurs de Lovecraft le savent bien, ils se passent des choses étranges dans les angles

Avec le droit d’auteur, c’est la même chose : il existe une certain nombre d’angles morts, dans lesquels il perd son efficacité et où il se passe effectivement des choses intéressantes à observer, qui prouvent souvent que la création peut se réguler d’une autre manière.

Un de ces angles morts est en ce moment sérieusement remis en question aux États-Unis : il s’agit du secteur que la mode.

À la mode US

Il faut en effet savoir que la mode, y compris dans ses aspects les plus créatifs et innovants, comme la haute couture, ne peut bénéficier de la protection du copyright de l’autre côté de l’Atlantique. Le droit américain contient une particularité voulant que les “articles utiles” (useful articles) ne peuvent en principe être protégés par le biais du droit d’auteur. La jurisprudence a déjà appliqué cette règle à des objets tels que des lampes, des lavabos, des écrans d’ordinateurs, mais aussi aux vêtements. Les juges du pays de l’Oncle Sam considèrent en effet que la fonction utilitaire des habits sur-détermine en général leurs formes, au point de primer sur leur dimension esthétique :

Le modèle qui a servi à fabriquer une jupe ou un manteau peut être copyrighté, car il possède une existence propre par rapport à la fonction utilitaire du vêtement. Cependant, on ne peut revendiquer un copyright sur la coupe d’un habit, ou sur la forme en elle-même d’une jupe ou d’un manteau, car ces articles sont utilitaires.

Ce raisonnement est appliqué aux simples vêtements, aux déguisements, mais aussi aux articles de haute couture, qui jusqu’à présent échappait à l’emprise du copyright. Les professionnels du secteur exercent cependant depuis plusieurs mois une action de lobbying en direction du législateur américain, afin qu’il revienne sur cette distinction et incorpore la mode parmi les objets pouvant faire l’objet d’une protection.

C’est déjà le cas en France, où la distinction entre les oeuvres utilitaires et les oeuvres artistiques est inconnue, en vertu de la théorie dite de “l’unité de l’art”. Le Code de Propriété Intellectuelle, même s’il emploie des termes un peu surannés, indique explicitement que les articles de modes entrent bien dans le champ du droit d’auteur :

Sont considérés notamment comme oeuvres de l’esprit au sens du présent code : [...] Les créations des industries saisonnières de l’habillement et de la parure. Sont réputées industries saisonnières de l’habillement et de la parure les industries qui, en raison des exigences de la mode, renouvellent fréquemment la forme de leurs produits, et notamment la couture, la fourrure, la lingerie, la broderie, la mode, la chaussure, la ganterie, la maroquinerie, la fabrique de tissus de haute nouveauté ou spéciaux à la haute couture, les productions des paruriers et des bottiers et les fabriques de tissus d’ameublement.

Aux Etats-Unis, le Sénateur Chuck Schumer a fait siennes les revendications du secteur de la mode et il porte une projet de loi qui sera prochainement examiné par le Sénat et la Chambre des Représentants. Les professionnels de la haute couture ont mis en avant le fait que les contrefaçons d’articles de mode étaient de plus en plus fréquents, à l’heure où les images circulent facilement sur Internet et peuvent donner lieu à des copies réalisées à bas prix dans les pays émergents. Les imitations de tenues portées par des stars seraient ainsi devenues monnaie courante, mais pour l’instant la pratique est légale.

Pourtant, bon nombre d’analystes ont fait remarquer que la mode s’accommodait jusqu’à présent fort bien de cette absence de protection par le droit d’auteur. D’abord parce la loi américaine prévoit d’autres moyens de protection comme le droit des marques ou l’équivalent de nos dessins et modèles. Mais aussi parce que la mode est un domaine où la copie et l’imitation ont fini par être admis comme une pratique acceptable par les créateurs eux-mêmes et constituent un des moteurs même de la création.

Johanna Blakkley avait donné à ce sujet une excellente conférence TED où elle montrait que la mode constituait un secteur hautement innovant, qui a trouvé d’autres manières de se réguler que la protection par le droit d’auteur. Pour pouvoir se démarquer de ses semblables, chaque créateur est fortement incité à faire preuve d’originalité et à explorer de nouvelles voies, tout en pouvant puiser dans les créations antérieures afin de les améliorer.

On est en réalité avec la mode aux antipodes de la guerre absurde que se livrent à coups de brevets les fabricants de téléphones ou de tablettes, où la moindre ressemblance entre des produits  offre prise aux attaques en justice des concurrents et où les articles finissent par être autant conçus par des avocats que par des designers !

Voir aussi : le Storify regroupant ces “angles morts” du droit d’auteur de manière plus détaillée.

C’est justement cette dynamique de la création par la copie que la réforme poussée par le sénateur Schumer pourrait interrompre et il sera important de suivre les suites pour voir si cet angle mort du droit d’auteur subsiste ou disparaît.

Angles morts

Pour autant, ce phénomène de “tâche aveugle” du droit d’auteur n’est pas confiné au secteur de la mode. Il existe en réalité pour un nombre relativement important de secteurs, présentant des analogies plus ou moins marquées avec la haute couture. Contrairement à ce que l’on pourrait penser plusieurs champs de la création sont situés en dehors de la sphère du droit d’auteur, mais cela ne les empêchent pas en général d’être fortement innovants. C’est la thèse défendue par exemple dans la vidéo ci-dessous qui fait le parallèle entre la mode, la cuisine, le football américain et… Steve Jobs !

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Casques de Stormtrooper

La question que l’on peut se poser est de savoir s’il ne faudrait pas étendre l’application de la distinction entre les oeuvres utiles et les oeuvres artistiques, pour appliquer aux premières des règles différentes et plus ouvertes. C’est une idée que défend par exemple Richard Stalmann depuis longtemps, estimant que les oeuvres utilitaires, comme les logiciels, mais aussi les manuels, les encyclopédies, les dictionnaires, les livres de cuisine, devraient par défaut être placés sous un régime correspondant aux quatre libertés du logiciel libre.

Récemment une affaire intéressante a montré que la distinction oeuvre utile/oeuvre artistique est susceptible de produire des effets assez puissants. C’est sur cette base en effet que George Lucas a perdu en Angleterre un procès retentissant  à propos à propos des casques de Stormtrooper. La loi anglaise ne protège en effet les objets tridimensionnels que dans la mesure où ils correspondent à des “sculptures” ou à des “objets d’artisanat d’art”. Les juges ont estimé que les casques de Stormtrooper servaient avant tout d’accessoires dans un film et que cette fonction utilitaire ne leur permettait pas d’être considérés comme des sculptures. Du coup, ces objets, au look pourtant célébrissime, sont dans le domaine public en Angleterre ! N’importe qui peut les copier et même les vendre.

Il y a quelques jours, une autre affaire faisait également songer à cette distinction entre les oeuvres utiles et les oeuvres artistiques. Apple a en effet été accusé par la compagnie des trains suisses d’avoir piraté son modèle de montre pour réaliser celle de l’iOS 6. Cette montre, qui est exploitée sous licence par la marque Mondaine présente pourtant un design très “basique” : ronde, traits noirs sur fond blanc, avec une aiguille rouge pour les secondes, terminée par un rond.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

L’affaire n’est pas allée jusque devant les tribunaux, puisque Apple a pris une licence pour pouvoir utiliser cette forme de montre dans ses applications. Mais on peut quand même se poser la question de savoir s’il est bien raisonnable d’accorder une protection à une création aussi “simple”, quand bien même elle a acquis une notoriété certaine. En effet, admettre qu’un tel motif puisse être protégé par le droit d’auteur n’est-ce pas ouvrir la porte à ce que la forme même de la montre puisse un jour être accaparée par une firme ? Apple revendique déjà quasiment un monopole sur le rectangle  dans le procès qui l’oppose à Samsung dans la guerre des tablettes ? Faudra-t-il laisser Mondaine ou une autre firme revendiquer des droits sur le cercle ? Et à qui le triangle ensuite !

Repenser le statut de l’utile

Pour éviter ce type de dérives, l’introduction de la distinction entre les œuvres utiles et les œuvres artistiques pourrait être intéressante, même si elle ne correspond pas à la tradition française du droit d’auteur. Elle permettrait que les caractéristiques fonctionnelles d’un objet  restent ouvertes et puissent être librement reproduites, laissant ainsi ces “briques de base” de la création disponibles, comme un fond commun dans lequel chacun peut venir puiser pour innover.

Ce raisonnement existe déjà en filigrane dans le droit. C’est sur cette base notamment, par exemple, que les briques Lego ont fini par perdre leur protection par le droit d’auteur, les juges estimant que leur forme n’est pas réellement détachable de leur fonction.

La question est sans doute moins anecdotique qu’il n’y paraît. Avec le développement de l’impression 3D, de nouvelles questions épineuses vont surgir, et se posent déjà, à propos de la protection à accorder à la forme des objets. Si l’on veut que cette nouvelle technologie donne la pleine mesure de ses promesses, il serait sans doute judicieux de militer pour, qu’à l’image de la mode aux Etats-Unis, les articles utiles restent au maximum dans l’angle mort du droit d’auteur.


Photo par Ammar Abd Rabbo via sa galerie flickr [CC-byncsa]

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Copier, couper, coudre: un procédé bientôt démodé aux États-Unis? http://owni.fr/2010/09/30/copier-couper-coudre-un-procede-bientot-demode-aux-etats-unis/ http://owni.fr/2010/09/30/copier-couper-coudre-un-procede-bientot-demode-aux-etats-unis/#comments Thu, 30 Sep 2010 06:30:47 +0000 Marie-Andrée Weiss http://owni.fr/?p=29804

Un sénateur américain, Charles Schumer, a introduit en août dernier une proposition de loi devant le Sénat américain, l’Innovative Design Protection and Piracy Prevention Act (IDPPPA), qui donnerait aux produits de la mode la protection du copyright, le droit de la propriété intellectuelle des États-Unis. À ce jour, ni les vêtements, ni les accessoires de mode ne sont protégés par le copyright, même s’ils bénéficient de quelques protections légales.

Les produits de la mode ne sont guère protégés par le droit de la propriété intellectuelle des États-Unis. Les créateurs de mode utilisent parfois le droit des marques des États-Unis, trademark law, pour protéger leurs créations. Ce droit reconnait un droit de protection de la trade dress, c’est-à-dire le packaging ou le design du produit. Les juges requièrent néanmoins que soit prouvée l’existence d’un secondary meaning : il faut que, dans l’esprit du public, le design du produit identifie la source du produit, c’est-à-dire la marque de la robe ou bien du sac. Marc Jacob a ainsi poursuivi en justice Christian Audigier au début de cette année, en invoquant la contrefaçon de la trade dress d’un de ses sacs par un sac de son concurrent.

Le droit des brevets, patent law, peut protéger en théorie les produits de la mode, mais la barre est haute à franchir, car seules les inventions peuvent être protégées par ce droit. On n’invente pas le fait de placer un col rond à paillettes sur un pull bleu, mais on peut inventer un procédé de coupe révolutionnaire, ou le tissu permettant de passer à travers les murailles. À noter, les motifs des tissus sont protégés par le copyright.

Quelles sont les créations protégées par le copyright ?

Le droit fédéral du copyright, codifié par le Titre 17 du Code des États-Unis, l’U.S. Copyright Act, protège les œuvres originales fixées dans une forme d’expression tangible (tangible form of expression). Une œuvre est considérée originale si elle est le fruit d’un minimum de créativité (modicum of creativity). En revanche, les œuvres utiles ne sont pas protégées puisque, au contraire du droit français, les États-Unis ne reconnaissent pas la théorie de l’unité de l’art, selon laquelle les œuvres sont protégées quel que soit leur mérite artistique, et ce même si elles ont un caractère utilitaire. Or les produits de la mode, vêtements et accessoires, ont une utilité certaine, que ce soit pour aider à la régulation de notre température interne ou la protection de notre pudeur.

Pas de protection par le copyright des créations utilitaires

Le Copyright Act définit un article utilitaire comme « un objet ayant une fonction intrinsèque utilitaire qui n’est pas seulement de dépeindre l’aspect de l’article ou de transmettre des informations». Plus simplement, la fonction utilitaire ne doit pas être exclusivement esthétique ou informationnelle. Certains aspects purement esthétiques de l’article peuvent néanmoins être protégés par le copyright. Une boucle de ceinture et un masque de carnaval se sont ainsi vu reconnaitre la protection du copyright. Les juges ont reconnu dans ces deux cas que le dessin, le design, de l’article était indépendant de sa fonction utilitaire, car il pouvait être identifié séparément, ou bien exister séparément de l’aspect utilitaire de l’article. Cette théorie a pour effet de permettre la protection par le copyright de la forme originale d’un nœud cousu sur la robe, mais non de la robe elle-même. Less is (not) more.

Une exception : la protection des coques de bateau par le copyright

Le copyright protège néanmoins depuis 1998 la coque des bateaux, œuvre utilitaire s’il en est ! Le Vessel Hull Design Protection Act a introduit dans le Copyright Act un chapitre 13, qui reconnait au styliste (designer) ou tout autre propriétaire d’un dessin original (original design) d’une coque de bateau, dont l’originalité rend l’article utilitaire attrayant ou d’apparence distincte pour le public, le droit de voir ce dessin original protégé durant dix années par le copyright. La protection n’est pas automatique, et le dessin original doit être enregistré auprès de l’U.S. Copyright Office dans les deux ans suivant leur première publication. Le Copyright Office considère d’ailleurs que la protection des coques des bateaux par le droit est un droit sui generis, un droit indépendant distinct du copyright.
Il suffirait de modifier quelque peu le chapitre 13 pour reconnaitre le droit à être protégé par le copyright à tous les dessins originaux pour peu qu’ils rendent un objet utilitaire attrayant ou d’apparence distincte pour le public. Cette définition englobe certainement les vêtements et accessoires de mode.

Une première atteinte en 2006 de protéger les produits de la mode par le copyright

Charles Schumer avait déjà introduit devant le Sénat en 2007 le Design Piracy Prohibition Act (DPPA), introduit dès 2006 devant la Chambre des représentants. Le DPPA proposait d’amender le chapitre 13 afin de protéger les produits de la mode durant trois années, à condition toutefois de les enregistrer auprès de l’U.S. Copyright Office dans les trois mois suivant leur première publication.
Le DPPA ne fût pas voté, en particulier parce que cette proposition de loi n’avait pas le soutien de l’ensemble des professionnels de la mode. Si le Council of Fashion Designers of America (CFDA) soutenait la proposition de loi, en revanche l’American Apparel and Footwear Association (AAFA) était contre, par crainte que cette loi incite des procès frivoles : « Tu m’as copié ! Non, c’est toi qui m’as copié ! » L’IDPPA a, en revanche, le soutien de l’AAFA et du CFDA.

Ce que propose l’Innovative Design Protection and Piracy Prevention Act de 2010

L’IDPPPA propose également d’amender le chapitre 13 du Copyright Act, mais élimine l’obligation d’enregistrement auprès du Copyright Office. En outre, la loi ne protègerait que les modèles originaux. Pour être original, un modèle devra inclure des éléments originaux, ou bien une manière originale de placer des éléments, qu’ils soient originaux ou non, dans l’apparence générale du modèle. Le modèle devra être le résultat de l’effort créatif du designer et devra « fournir une variation non négligeable et non utilitaire par rapport aux conceptions antérieures pour le même type d’articles » (« provide a unique, distinguishable, non-trivial and non-utilitarian variation over prior designs for similar types of articles »). En d’autres termes, une simple variation sur un thème ne sera pas protégée.
Un styliste ou un couturier souhaitant poursuivre en justice un copieur pour contrefaçon devra prouver que son modèle est protégé par le copyright et que le défendeur au procès a copié son modèle. L’IDPPA définit une copie comme un modèle « substantiellement identique dans son apparence visuelle globale aux éléments d’origine d’un dessin ou modèle protégé ». Le plaignant devra en outre prouver que le dessin ou le modèle protégé, ou bien une image de celui-ci, était disponible dans un ou plusieurs endroits, de telle manière, et pour une durée telle, que l’on peut raisonnablement déduire de l’ensemble des faits et des circonstances que le contrefacteur l’a vu ou en a eu connaissance.
L’IDPPPA contient une exception pour les couturiers et couturières à domicile : il leur sera possible de reproduire à un seul exemplaire un modèle original pour leur usage personnel, ou l’usage personnel d’un membre proche de la famille. De plus, les modèles créés avant la promulgation de la loi feront partie du domaine public.

Est-ce une bonne idée de protéger les créations de la mode par le copyright ?

Les opposants au projet de loi argumentent que protéger les créations de la mode aurait des conséquences négatives pour l’industrie de la mode. Selon eux, pouvoir copier librement serait au contraire bénéfique pour cette industrie. Deux auteurs, les professeurs de droit Kal Raustiala et Christopher Sprigman, sont opposés à la proposition de loi. Ils avaient soutenu dans un article publié en 2006 qu’il existe un piracy paradox : l’industrie de la mode profite paradoxalement du copiage effréné des créations de modes grâce à l’absence de protection de ses créations par le copyright. Le cycle des produits de la mode est court, et la copie encourage le renouvellement nécessaire aux couturiers et aux créateurs, qui présentent au moins deux collections par saison. Les clients suivent : adore ce que tu as brûlé, brûle ce que tu as adoré. Nous n’avons plus rien à nous mettre à chaque début de saison, et l’industrie de la mode en bénéficie.
À suivre cet automne, pour apprendre si la proposition de loi est votée par le Congrès américain.

Images CC Flickr hexodus…, flatworldsedge et charliestyr

À lire aussi : “Copyright : on aurait beaucoup à apprendre de la mode”

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Lady Gaga, virtuose de l’image dropping http://owni.fr/2010/06/03/lady-gaga-virtuose-de-l%e2%80%99image-dropping/ http://owni.fr/2010/06/03/lady-gaga-virtuose-de-l%e2%80%99image-dropping/#comments Thu, 03 Jun 2010 10:43:56 +0000 Patrick Peccatte http://owni.fr/?p=17348 La plupart des analyses des vidéos de Lady Gaga mettent en avant un ensemble de références visuelles empruntées à une catégorie précise de sources et ignorent d’autres allusions. Ainsi, tel article considère que ces clips sont construits comme des bandes-annonces usant de références évidentes à des séquences de longs métrages, un autre reconnaît les tenues vestimentaires remarquables de la star, tandis qu’un troisième s’attache à mettre en évidence les emprunts au symbolisme occultiste. En réalité, les références visuelles que l’on peut déceler dans ces films sont nombreuses et s’enchevêtrent tellement qu’il n’est guère possible de privilégier une source ou un point de vue sans risquer une mésinterprétation.

Sur une séquence très brève de la vidéo du titre Paparazzi, nous identifierons des références diverses qui s’entrecroisent de façon apparemment chaotique. Il devient alors difficile de postuler que ces séquences possèdent une interprétation unique qui ne pourrait être connue que par ceux qui en possèdent les clés. Nous avançons bien au contraire l’hypothèse selon laquelle ces collages d’images puisées dans des réservoirs hétéroclites constituent un “image dropping“, une technique d’expression visuelle dont le ressort est l’étonnement du spectateur et qui a pour objectif principal la légitimation de la star en tant qu’artiste.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Soit donc la séquence de la vidéo Paparazzi comprise entre les timecodes 2:04 et 2:27 (23 secondes, pas plus…) où Lady Gaga chute puis gît au sol entourée de journalistes et photographes. On peut y retrouver les références explicites ou allusives suivantes :

Mode et marques : lors de la chute, elle passe sa main devant le visage, les bagues sur chaque doigt forment le mot DIOR. Les gants sont une création Gloved Up, un styliste londonien. Durant la chute, elle porte un corset Thierry Mugler et un bustier Tra La La. Ensuite, allongée inanimée sur le sol, elle porte une autre création de Thierry Mugler1, etc.
Source : Interview de Bea Åkerlund (femme du réalisateur Jonas Åkerlund et styliste de Paparazzi)

Publicité et cinéma : la spirale tournoyante est un moyen d’hypnose bien connu que l’on retrouve par exemple dans une publicité Wonderbra. La dernière phase de la chute rappelle aussi le film Vertigo d’Hitchcock et son affiche. Par ailleurs, le texte de Bad Romance mentionne aussi trois films d’Hitchcock dont Vertigo.

Occultisme : dans ses différentes vidéos, Lady Gaga se masque fréquemment un œil, attitude très souvent rapportée à un symbolisme occultiste. La spirale en mouvement est également parfois associée à un symbolisme ésotérique.

Faits-divers et cinéma : le corps de Gaga gisant sur le sol est une allusion au meurtre de Black Dahlia dont Brian de Palma a fait un film à partir d’un roman de James Ellroy. Sur les photos du meurtre2, la position des bras est identique et le collier dans la bouche figure l’horrible mutilation (Glasgow smile) stylisée sur l’affiche du film de Brian de Palma. Le groupe de journalistes et photographes autour du corps renvoie également au film et peut-être aussi à la bande-annonce de Watchmen (voir l’article de Constance Ortuzar).

Musique : Le journal The Evening Star surgit à l’image avec le titre Lady Ga Ga Hits Rock Bottom et la photo du corps de la star dans la position de Black Dahlia. Il est remplacé par une autre édition du même journal avec le titre Lady Gaga is Over et une photo de Gaga en fauteuil roulant.

Ces images rappellent la défenestration en 1973 du batteur Robert Wyatt qui est depuis cet accident en fauteuil roulant. Ce qui ne l’a pas empêché de réaliser ensuite son chef-d’œuvre Rock Bottom. Pour qui doute de cette référence musicale, rappelons que le réalisateur de la vidéo, Jonas Åkerlund, a lui-même été batteur du groupe de black-metal Bathory dix ans plus tard.

Les références on le voit sont multiples : mode, marques, cinéma, publicité, faits divers, occultisme, musique, sans oublier que ces films renvoient aussi à des images issues des jeux vidéos (les danseurs en vinyle dans Bad Romance et Silent Hill) et recyclent également des images de la star parues dans les médias (voir par exemple ici) ou des images provenant d’autres vidéos (Telephone comporte de nombreuses références à Paparazzi). Sans compter sans doute les sources que nous n’avons pas su détecter.

Il semble donc difficile d’attribuer une véritable cohérence narrative à ces références éparses. Visuellement, ces films ne sont pas réductibles à une influence dominante. Interpréter les vidéos de Gaga comme inspirées principalement par la mode, le cinéma ou l’occultisme constitue à notre sens une erreur.

Sur l’ensemble des vidéos de la star, c’est bien le personnage de Gaga en performance sur une ligne musicale qui font “tenir ensemble” toutes ces images disparates3. L’artiste devient ainsi un medium au service d’une machinerie commerciale4.

En fait, ces vidéos fonctionnent comme le name dropping dans le discours verbal et l’argumentation, c’est-à-dire selon un procédé d’expression qui consiste à citer des noms connus – notamment des noms de personnes, d’institutions ou de marques commerciales – et qui dénote souvent la tentative d’impressionner les interlocuteurs (d’après Wikipedia).

L’accumulation d’images qui rappellent d’autres images puisées dans divers réservoirs de la culture populaire, leur apparition très brève et leur télescopage dans un format court, constituent ce que nous appelons un effet d‘image dropping. Cette toile de fond est parfaitement reconnaissable mais elle doit néanmoins demeurer suffisamment en retrait par rapport à la prestation visuelle de la star.

Dans cet ensemble de sources, la mode et les marques ont cependant un rôle plus important. Dans le cas des marques s’ajoute alors à l’image dropping un véritable name dropping sur le nom des objets ou services reconnaissables (une dizaine de marques dans la dernière vidéo Telephone). Le name dropping renforce alors l’image dropping. Pour la mode, nous sommes en présence à la fois d’une esbroufe, d’un étourdissement du spectateur par une litanie de tenues et d’accessoires de luxe portés par Gaga et d’une légitimation de sa prestation artistique par association ; la star capte le statut artistique accordé à la haute couture.

(Merci à Sam Chapman et Claude Estèbe pour leurs idées et remarques)

  1. Oui, elle change de tenue durant la chute. []
  2. Lien non fourni, mais c’est facile à trouver si vous y tenez… []
  3. Lire aussi Lady Gaga killed the music star, par André Gunthert. []
  4. Lady Gaga = Michael Jackson 2.0 par Fabrice Epelboin []

Billet initialement publié sur Déjà vu ; image CC Flickr qthomasbower

À lire aussi : Referential Mania: Analyzing Lady Gaga’s and Beyonce’s “Telephone”

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Copyright:|| on aurait beaucoup à apprendre de la mode http://owni.fr/2010/05/27/copyright-on-aurait-beaucoup-a-apprendre-de-la-mode/ http://owni.fr/2010/05/27/copyright-on-aurait-beaucoup-a-apprendre-de-la-mode/#comments Thu, 27 May 2010 08:51:40 +0000 Martin Untersinger http://owni.fr/?p=16677 Cliquer ici pour voir la vidéo.

Au TED 2010 (série de conférences organisée chaque année en Californie), Johanna Blakley, chercheuse à la University of Southern California en histoire de la culture et des médias, a donné un discours concernant l’usage du copyright dans l’industrie de la mode. Et il se trouve que ce domaine de la création n’est pas si éloigné que ça de celui de la musique ou du logiciel.

Son analyse est donc riche d’enseignement dans un contexte où les industries de la création se crispent maladroitement sur une protection de la propriété intellectuelle rendue obsolète par les évolutions rapides et inédites des nouvelles technologie et d’Internet.

Pour ceux qui ne sont pas familiers de la langue de Shakespeare, voilà un résumé des principales idées développées.

La mode : une industrie sans copyright basée sur la copie

Johanna Blakley commence son discours en prenant l’exemple d’une créatrice de mode en voyage à Paris, qui trouve une très belle veste dans un magasin, et qui décide purement et simplement… de la copier ! La chercheuse nous explique qu’en effet, toute l’industrie de la mode est basée sur la copie et l’adaptation.

Il y a une raison à cela : la mode est une des seules industries de la création à grande échelle à n’avoir jamais été sous le régime du copyright. La mode (ou plutôt l’industrie textile) a été très tôt considérée comme une utilité, c’est à dire un secteur d’activité qui participe directement au bien public et dont l’innovation – nécessaire pour la société – ne doit pas être bridée. Très tôt donc, les juges ont décidé que les créateurs de mode devraient se passer de propriété intellectuelle. Aujourd’hui, seuls les logos sont protégés.

Quand on y pense, c’est plutôt intrigant : la mode, une création artistique trop utile pour être sous copyright ? Si on va par là, il n’est pas plus absurde de dire la même chose concernant les logiciels ou la création artistique !

Pas de copyright: condition du succès !

À l’argument classique qui dit qu’il ne peut pas y avoir d’incitation à l’innovation sans protection de la propriété, Johanna Blakley nous prouve que c’est en fait l’inverse. Le succès de l’industrie de la mode repose sur l’absence de copyright. Étant donné que la copie est monnaie courante, il faut être constamment innover pour monétiser dans un interstice du marché non encore exploité. Plus fort encore, l’absence de copyright peut-être une incitation à proposer quelque chose d’impossible à copier (Blakley nous parle de chaussures avec une pièce en titanium: si la copie utilise un matériau moins cher, ça casse).

Les créateurs de mode ont transcendé une utilité pure (des vêtements pour se protéger du froid) en œuvre d’art (donc monétisable) grâce à cette absence de copyright, en évoluant dans un “écosystème de créativité”. Blakley nous rappelle que ce n’est pas pour rien que la principale inspiration des designers est un endroit où les gens adaptent et remixent en permanence : la rue.

Il faut s’accrocher pour l’argument suivant, tant il prend à contrepied tout ce qu’on nous rabâche. Prêts ?

Ceux qui gagnent le plus d’argent sont ceux qui copient le plus… et ceux qui sont le plus copiés. Blakley de s’expliquer : copier les grands créateurs et les vendre moins cher rapporte gros. En clair, des enseignes comme H&M et Zara font leurs milliards de dollars de chiffres d’affaire grâce à l’absence de copyright ! Sans pour autant impacter sur les grands créateurs. Pourquoi ? Pour une raison évidente : ceux qui se fournissent chez H&M ne sont pas les mêmes que ceux qui achètent les travaux des grands créateurs !

Les avantages de l’absence de copyright

La copie a donc de multiples avantages : cela permet la démocratisation, la diffusion plus rapide des modes, une obsolescence accélérée des produits et donc une incitation à l’innovation. De plus, et on en est toujours là, la question de savoir si une création est entièrement nouvelle reste insoluble.

L’industrie de la mode n’est pas la seule à être exempte de copyright: l’industrie alimentaire, l’automobile, les meubles, ou encore les tours de magie, les coupes de cheveux ou les feux d’artifices sont copiables et reproductibles à l’infini.

Et quand on compare les revenus des industries “copyrightées” avec les autres, surprise. On peut toutefois émettre un doute sur la pertinence de comparer des secteurs aussi différents.

Bazinga. A gauche, sans copyright, à droite, avec.

Le copyright est basé sur une idée qui avait court avant l’apparition d’Internet : l’opposition entre utilité et art, et entre productions physiques et intellectuelles. Ce discours nous montre qu’en fait, le copyright n’était peut-être pas nécessaire. Même avant l’avènement du réseau.

Blakley termine sa prestation en soulignant le fait que la création digitale bouleverse ce modèle : la création artistique n’a plus d’existence physique, c’est un fichier digital. Reste une simple et ultime question : quel est le genre de modèle de propriété qui va mener vers le plus d’innovation ?

Blakley d’affirmer que la mode est un très bon endroit pour commencer.

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A voir également, en plein dans le sujet : la vidéo All Creative Work Is Derivative, toute création est une adaptation ! ; Le droit d’auteur est-il une notion périmée ?

Crédit Photo Flickr : We Love Tienda.

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Be: un pouffe-mag de plus ? http://owni.fr/2010/03/22/be-un-pouffe-mag-de-plus/ http://owni.fr/2010/03/22/be-un-pouffe-mag-de-plus/#comments Mon, 22 Mar 2010 10:48:05 +0000 Capucine Cousin http://owni.fr/?p=10606 photo C.C.

photo C.C.

Titre original :

La Couv’ de la semaine : Be, (encore) un hebdo shopping

J’ai beaucoup hésité avec son pendant bien plus féministe et intello, l’excellent bimestrie Causette, qui fête sa première année…

Finalement, le lancement du nouvel hebdo féminin Be par le groupe Lagardère m’a semblé s’imposer pour cette rubrique,  au vu de critiques acerbes de confrères ;)

C’est donc un nouveau féminin qui a débarqué dans les kiosques le 19 mars : le troisième hebdo féminin, lancé juste quelques semaines après Envy (du groupe Marie-Claire), et quelques mois après Grazia (Mondadori).

Donc, plusieurs groupes de presse lancent des féminins sur le créneau hebdo, malgré l’échec de feu ”Jasmin”, et du projet avorté d’une adaptation française de Bild. Le rythme hebdo a en effet pour avantage, à priori, d’attirer davantage les annonceurs… Dit autrement, comme l’a résumé à sa façon Libération, “le créneau de la pouffe presse est rentable” ;)

Le projet est ambitieux : pour 1 € en prix d’appel (qui sera ensuite à 1,50 € le numéro), Ce premier numéro du mag, épais, a bien attiré les annonceurs (environ 40 pages de pub sur 164 pages). Pour lui assurer un vernis 2.0 supplémentaire, le magazine s’accompagne d’une appli iPhone, et bien sûr d’un site (ouvert dès janvier), avec six blogueuses, une radio, une plateforme de e-commerce, et une série TV maison (sur les coulisses de la rédaction, d’après ce qu’annonce le magazine), qui sera aussi diffusée sur la chaîne June.

Le jour de la conf de presse de présentation, Didier Quillot, patron du groupe Lagardère, a présenté son nouveau bébé comme un “féminin haut de gamme générationnel visant les jeunes femmes de 20 à 35 ans”. Rien que ça. Ça tombe bien, à priori, je suis pile dans la cible ;) Il m’a donc semblé courageux intéressant de me livrer à nouveau à un petit exercice de feuilletage ;)

“Be” (prononcez “bi”, anglicisme oblige – tellement plus branché… – que l’on traduit par l’injonction “Sois”. Et non pas “Be”, encore moins “bééé”, ce qui ferait quelque peu moutonnier ;) affiche une couv’ à entrées multiples, avec pour égérie Vanessa Paradis, icône trentenaire. Les multiples titres en rose vif (so girly) me laissent quelque peu perplexe : des “produits stars pour être canon au réveil” (?), “53 souliers hot hot hot” (passons…), “Sexo 2010 – les nouvelles tendances… au lit” (ok, donc il y a des tendances Q tout comme il y a des tendances fashion chaque année), et, le summum, “Chic ! La banlieue révèle son côté glam” (là, je commence à avoir peur…).

So, que donne Be ? Premier constat : plus fourni et bien moins people que son concurrent Envy, moins de pages shopping, plus de papiers. Et donc, effectivement, un mag plus haut de gamme. A première vue. Sur le fond, les papiers sont parfois écrits de manière aléatoire, avec des tournures parfois bizarres, voire franchement vulgaire (eh non, cela ne suffit pas pour faire branché…).

Le constat se confirme en le feuilletant. Ouverture sur une double photo “l’instant Be” à propos du tournage d’Angelina Jolie à Venise. Puis présentation sur une double page d’une douzaine de journalistes et chefs de rubriques, “Les Bees font le buzz” (mmm, comme le laissait pressentir la couv’, je sens que l’on va s’amuser avec la titraille de ce mag). Où l’on apprend que Les Bees sont “des filles curieuses, des abeilles butineuses qui se mêlent de tout et partagent tout. Quoi aimer, que porter, de qui s’inspirer, où aller et avec qui ?”. Donc voilà quelle semble être la ligne éditoriale de ce mag. Bon.

On attaque avec l’actu (rubrique “Big Bang”), indirectement people, sur Anne Hathaway (2 pages, trois photos, et article d’un feuillet maxi). Et cette incise un peu bizarre, qui revient tout le long du magazine, où la journaliste (ici “Florence”) commente dans un carré jaune son propre article ! Curieux… Ensuite, actu shopping (déjà ?), portait intéressant d’une mannequin handicapée, quelques portraits, encore de l’”actu shopping”, un papier publi-reportage à peine déguisé sur le tournage de la pub pour un jus de Lancôme, un papier sur le Viagra féminin, un passage en revue des tendances vestimentaires des people (et cet étrange commentaire sur le “beige perversversion bondage de Kate Bosworth” – vulgaire et incompréhensible)… Bref, une vingtaine de pages “actus” qui n’en sont pas (contrairement à Grazia qui, pour sa part, a le mérite de tenter de traiter la vraie actu) mêlent hypocritement de la mode et du people.

S’ensuivent 6 pages de “Happy culture” (qui comptent tout de même beaucoup de papiers sur la télé.. Puis, après quelques pages d’annonces pour la e-boutique maison (l’occasion de mettre en avant des marques partenaires), puis les sujets de cover : interview de Vanessa Paradis… Puis cet étrange papier : “La banlieue, c’est glam ! Sex and the cité” (sic). Énorme, affolant : la journaliste a trouvé huit femmes auteures, réalisatrices ou journalistes “issues des banlieues” et qui “s’en sont sorties”.

Et là, on enfile les perles : le papier s’ouvre sur… Puteaux (une banlieue craignos, comme tout le monde le sait) avant que les huit héroïnes nous décrivent leur boulot.. Mais j’ai beaucoup de mal à comprendre en quoi elles “nourrissent leur travail artistique de leurs années passées dans des cités” (re-sic). Heureusement, la journaliste “Myriam” se justifie courageusement dans le fameux petit carré jaune, en expliquant que ces “destins exceptionnels” ne doivent pas “faire oublier les difficultés auxquelles font face les jeunes des cités,scolarisés dans des Zep, puis confrontés à un taux de chômage de 40%”. Ouf, nous voilà rassurés.

Puis, un “grand angle” sur Paris Hilton de passage dans la capitale (le titre ? “Bon baisers de Paris”, no comment), un sujet intéressant sur des adeptes du family business, et, enfin, pour revenir aux choses sérieuses, 30 (!) pages de shopping avec, toujours, ces jeux de mots moyens qui semblent être la marque de fabrique de Be (“Glam-à-vous !”). Et enfin les pages beauté (dont une rubrique “wellbeing”, amusant ces anglicismes censés faire branché…).

Ah, et enfin la rubrique sexo: “Etre branchée au lit, mode d’emploi”, “devenir une parfaite sexonista”, avec cet intertitre définitivement vulgaire (et difficile à comprendre) : “Définitivement has been le ‘hand job’! La it branlette, c’est le ‘foot job’ “. Puis un papier au titre inspiré, “Est-ce plus dur de se faire jeter par un moche ?”.

En clair, premières impression inquiètes au vu de ce magazine censé être “haut de gamme” (hum…). Les “jeunes femmes de 20 à 35 ans” urbaines et CSP + plus seraient donc juste des petites bourges individualistes accros au shopping, accros aux starlettes et au buzz ? Reste à voir quel groupe va dégainer à son tour un féminin “glam” pour jeunes actives…

> Article initialement publié sur Miscellanées

> Illustration de Une by jaimelondonboy sur Flickr

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Photoshop, anatomie d’un désastre http://owni.fr/2010/03/19/photoshop-anatomie-dun-desastre/ http://owni.fr/2010/03/19/photoshop-anatomie-dun-desastre/#comments Fri, 19 Mar 2010 10:03:07 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=10303 parisbloodyhilton

PhotoshopDisasters rassemble des images retouchées à la truelle avec le logiciel d’édition. C’est drôle et révélateur de la façon dont la société occidentale construit et impose des normes esthétiques.

Elles sont parmi nous, invraisemblablement réelles. Glissées dans un magazine, placardées dans un métro. Vous ne vous en rendez peut-être pas compte.
Heureusement, des yeux avertis veillent pour vous et les réunissent sur un site : PhotoshopDisasters, comme son nom l’indique, est une galerie d’images générées à l’aide du logiciel d’édition qui présentent des aberrations au regard de Mère Nature.

Lancé en 2008, le site trie les clichés selon des catégories au nom évocateur. Inadvertent amputation rassemble les photos où un membre a été coupé, comme ça, en douce :

rockbloodyit

Inversement, la victime d’une lame possède une pièce (mal) rapportée, une tête par exemple :

discountdance

Pour le collagène pixellisé, on tapera dans mutton dressed as lamb :

donnasummer

À côté des mannequins étiquetés baroque anatomy, les petites gymnastes chinoises passent pour des manches à balai :

evenlybloodygorgeous

Bon, passée la bonne poilade ludique sur le mode “cherchez l’erreur”, PhotoshopDisasters est aussi révélateur de la façon dont la société occidentale représente le corps et modèle à son tour notre vision de la norme, comme l’explique Alexie Geers, doctorante et chargée d’enseignement en histoire de l’art et des représentations à l’Université Paris Ouest Nanterre-La Défense, et doctorante associé au Lhivic.

Quand nous parcourons le site, les aberrations physiques nous sautent au yeux. Dans leur contexte, les verrions-nous ?

Alexie Geers : Les images qui ont subi de « mauvaises » retouches ou des erreurs de retouche, le lecteur peut les déceler en étant un peu attentif. Un bras ou un pied oublié est visible, cependant ces images étant faites pour être regardées rapidement, très souvent le lecteur ne s’en rend pas vraiment compte. Les autres images, « bien » retouchées, et ce sont les plus nombreuses, ne sont pas remarquées forcément comme telles. Bien que nous sachions l’image retouchée ou travaillée, nous ne savons pas à quel point.

Que racontent ces photos sur la façon dont notre société construit une représentation normée du corps ?

Ces images, issues par exemple de la presse féminine, montrent des corps uniformisés, correspondant aux canons de beauté contemporains, toutes les étapes de la fabrication des images (car il ne faut surtout pas oublier qu’il n’y a pas que la retouche qui permet de fabriquer une photographie) permettent de gommer les aspects d’individualité (grains de beauté, nez légèrement tordu…) et de mettre en avant certains autres aspects, plus idéalisés (peau lisse, minceur, cheveux brillants…).

Des retouches aussi déformantes sont-elles courantes ?

Oui, mais la plupart du temps, la retouche est « bonne », c’est-à-dire qu’on ne la voit pas, on peut l’imaginer certes, mais la technique n’est pas visible. Les exemples de PhotoshopDisasters sont des exemples d’erreurs, de « mauvaises » retouches. Un corps peut être entièrement transformé, remodelé sans que le lecteur ne le voit, n’ayant jamais rencontré le modèle ! Souvent la rupture est visible lorsqu’il s’agit de quelqu’un de connu, voir Monica Belluci ou Sharon Stone avec des visages de jeunettes de 25 ans surprend toujours.

Quels secteurs y recourent le plus, et qui s’adressent à quels publics ?

La publicité, la presse féminine et aussi l’affiche de cinéma sont les plus gros consommateurs de ce type d’images, ceci s’expliquant aussi par leurs budgets, très importants. Car des images comme ça coutent chères, elles demandent beaucoup de travail.

Mais je dirais qu’aucun secteur n’y échappe, je crois qu’aujourd’hui toutes les photographies sont retouchées, même a minima. D’ailleurs il faut se poser la fameuse question : où commence la retouche ? Est-ce au moment où on opère une légère chromie ? Ou au moment où l’intervention est plus grosse ? Il est assez amusant de voir que la retouche est toujours définie à côté de la photographie alors qu’elle fait entièrement partie d’elle.

Quel est le risque d’une telle pratique ?

Je ne vois pas vraiment de « risque » dès l’instant qu’on est bien conscient que ce qu’on a sous les yeux est une image et non la réalité. Une photographie de publicité cosmétique n’est pas moins conforme à la réalité qu’une Vénus d’Ingres ! Il faut comprendre que l’image photographique n’est pas la réalité et balayer une bonne fois pour toute l’idée qu’elle comporte l’objectivité. La photographie est une composition et dans ces exemples, elle est travaillée autant qu’un dessin. Elle se situe, de la même manière, entre la réalité et l’imaginaire, et pas forcément plus près de la réalité.

Marie-Claire a annoncé un numéro « 100% sans retouches », la députée Valérie Boyer a proposé une loi qui obligerait à signaler les photos retouchées…, pensez-vous que l’on va revenir vers plus de naturel dans la représentation des corps ? Ou nous avons besoin de représentation idéalisée du corps ?

La démarche de Marie-Claire dans ce numéro est différente de la proposition de loi de V. Boyer, car le magazine veut montrer que, sans retouche, le magazine n’est pas si différent qu’avec (et donc essayer de dire qu’il n’use pas de la retouche). La députée veut écrire sur l’image photographique : « attention ceci est retouché, ceci n’est pas la réalité ».

À mon sens être éduqué à l’image serait une bien meilleure solution pour avoir un regard critique face au flot d’images qui nous entoure ! Apprendre qu’en effet l’image n’est pas la réalité ! (et ce n’est pas Magritte qui dirait le contraire.)

Si l’on regarde les images de presse féminine cette dernière année , on peut voir une idéalisation très prononcée. Où allons-nous ? Vers plus de naturel ? Je ne le pense pas. Car n’oublions pas que derrière toute ce système de représentation (presse féminine, publicité), il y a des industries cosmétiques, qui ne sont pas prêtes d’abandonner leurs moyens de convaincre. Surtout que le corps idéalisé est un moyen diablement efficace. Vous avez raison, en quelque sorte « nous avons besoin de représentation idéalisée ». Pour preuve la campagne Dove qui utilisait des modèles différents, des femmes rondes, plus âgées, des femmes comme « tout le monde », la campagne a beaucoup plu aux femmes, mais n’a pas eu de bons résultats commerciaux…

L’éducation à l’image, un vaste chantier auquel quelques ouvriers s’attellent…

Toutes les photos sont reprises de PhotoshopDisasters.

Quelques liens pour aller plus loin :

> sur l’image

Le blog d’Alexie Geers, L’Appareil des apparences, consacré entre autres aux photographies de corps féminin dans la presse féminine, et en particulier son billet sur le numéro “100% sans retouches” de Marie-Claire

Métamorphoses de Valentina Grossi, aborde la retouche numérique.

Les deux blogs d’André Gunthert sur Culture visuelleTotem et spécialement cette analyse et L’atelier des icônes ; et cet article paru sur Etudes photographiques

> sur l’éducation aux médias

Cellulogrammes, un atelier pédagogique sur à l’éducation à l’image, auquel s’est associé Curiosphere.tv, la web-tv éducative de France 5.

Le site de l’association Paroles d’images, présidée par Rémy Besson, et son blog.

Zéro de conduite

Le Clemi

Passeursdimages

Et pour finir, une vidéo montrant comment on transforme une jolie femme en une image publicitaire pour Dove.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

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http://owni.fr/2010/03/19/photoshop-anatomie-dun-desastre/feed/ 5
Marie-Claire sans retouches ? http://owni.fr/2010/03/19/marie-claire-sans-retouches/ http://owni.fr/2010/03/19/marie-claire-sans-retouches/#comments Fri, 19 Mar 2010 10:01:13 +0000 Alexie Geers http://owni.fr/?p=10313 Quand le magazine féminin promet un numéro d’avril 100% sans retouches, qu’entend-il par là et que veut-il démontrer ? Alexie Geers, auteur du blog L’Appareil des apparences sur Culture visuelle, et nouvelle venue sur Owni, analyse l’opération.

Un an tout juste après Elle et ses stars photographiées «sans fards, sans maquillage, sans retouches» par Peter Lindbergh, Marie-Claire, nous promet, pour son numéro d’avril 2010, un numéro «100% sans retouches».

Elle, avril 2009, "Stars sans fards, sans maquillage, sans  retouches" (Monica Belluci)

Elle, avril 2009, “Stars sans fards, sans maquillage, sans retouches” (Monica Belluci)

Marie-Claire, avril 2010, Une, "Numéro 100% sans  retouches" (Louise Bourgoin)

Marie-Claire, avril 2010, Une, “Numéro 100% sans retouches” (Louise Bourgoin)

Selon Christine Leiritz, directrice de rédaction et éditorialiste, « nulle retouche, pas de tricherie »[1] dans ce numéro, pensé comme un pied de nez à la proposition de loi de Valérie Boyer[2]:  «Ce que nous voulons montrer est limpide. Marie-Claire n’offre pas une «représentation erronée de l’image du corps dans notre société» comme le craint la députée, à grand coup de logiciels de retouche, de castings de filles maigrissimes et d’injonctions à maigrir. Marie-Claire, pas plus, n’offre à ses lectrices une image réductrice d’une beauté unique et d’une jeunesse éternelle».

Une petite observation dudit magazine s’impose au regard de ce discours.

La directrice de rédaction mentionne que «les publicités ne sont pas concernées» par la non-retouche, seules les photographies dites éditoriales participent au défi. Or sur les 322 pages que comporte ce numéro, 123 sont des publicités pleine page: 30% du magazine échappe donc à la «non-retouche», donnant au numéro un aspect visuel tout à fait proche de ce dont on a l’habitude.

L’éditorialiste en a d’ailleurs parfaitement conscience «Pas sûr, même, que si nous n’avions pas ajouté la mention “photos non retouchées” vous auriez perçu un quelconque changement»…

Prêtons attention au 70% restant et aux «photographies non retouchées».

Tout d’abord, que signifie «sans retouche»? A quel moment commence la retouche d’une photographie? Au moment de l’éclairage qui unifie le visage et qui gomme les pores? Au moment du choix d’un noir et blanc légèrement surexposé? Au moment de la chromie qui elle aussi peut se révéler avantageuse? Ou plus généralement avec l’utilisation de la palette graphique et des outils de modifications numériques?

Bien entendu la rédaction de Marie-Claire entend la retouche dans son acceptation la plus courante (voir le débat sur le Worldpress[3]), la retouche numérique soit toutes les modifications que l’on peut faire sous Photoshop, mincir les modèles, effacer rides et boutons…

Pourtant les photographes n’ont pas attendu Photoshop pour donner à leurs modèles l’apparence la plus avantageuse. Ainsi si l’on regarde de plus près  la page 227 (dossier mode), bien que l’image n’ait peut-être pas subie l’action d’une gomme Photoshop, il est certain que par le travail du photographe, une partie des “défauts” si souvent traqués dans la presse féminine, disparaissent d’eux-mêmes sous l’effet de l’éclairage et du noir et blanc. Sans évidement parler du choix du modèle, lui aussi capital.

Dossier mode "Peps un the city", in Marie-Claire, avril  2010, numéro 100% sans retouches, page 227

Dossier mode “Peps un the city”, in Marie-Claire, avril 2010, numéro 100% sans retouches, page 227

Ainsi on comprend aisément que la construction d’une image photographique se fait autrement qu’en retouchant.

A la lecture de l’éditorial de Christine Leiritz, un second point me semble intéressant:  c’est la volonté de prouver que le magazine ne donne pas d’ «injonctions» à maigrir ou à l’éternelle jeunesse. Cependant, quels articles peut-on lire: “Nouvelles crèmes minceur” (p. 193), “Médecine esthétique, des nouveautés futées” (p. 204 ), ou encore “Aides minceur à dévorer” (p. 285)… soit des articles en complète opposition avec le discours de la rédaction voulant montrer des femmes qui s’assument et qui sont bien dans leur peau.

D’ailleurs, en regardant l’illustration de l’article sur “les nouvelles crèmes minceurs” (p. 193), on peut voir une image de quatre modèles très minces, qui dans un numéro traditionnel et “retouché” auraient subies un remodelage des cuisses pour les …rendre plus rondes! En définitive, dans cet exemple, la version sans retouche montre des corps plus minces que si l’image avait été retouchée.

"Nouvelles crèmes minceur", in Marie-Claire, avril 2010,  numéro 100% sans retouches, page 193.

“Nouvelles crèmes minceur”, in Marie-Claire, avril 2010, numéro 100% sans retouches, page 193.

Ce qui fait réfléchir à la place du discours. Si l’image a une place importante dans la presse féminine, il ne faut pas oublier la diversité du discours proposé par celle-ci. Comme nous l’avons dit plus haut, il y a 123 pleines pages de publicités, dont par exemple 49 pages pour la cosmétique (crèmes, maquillage, complément alimentaires “beauté”) vantant les mérites de produits censés «activer la jeunesse» ( Lancôme, Généfique), «camoufler les imperfections» (Séphora, BareMinerals), lisser les capitons et resculpter (Elancyl, Offensive cellulite),  «amincir jusqu’à 20%» (Somatoline Cosmetic, Traitement amincissant intensif )…

On peut alors se demander ce que retient la lectrice du feuilletage de ce magazine «spécial»?

Car si les images ne sont pas «retouchées», au sens «modifiées sous Photoshop», elles sont pourtant bel et bien travaillées, fabriquées, composées. D’autre part la coexistence d’article sur la minceur, sur la quête de perfection n’a pas disparu, ni les publicités du même ordre. Ce qui remet a priori en question l’idée de la rédactrice selon laquelle «Ce ne sont pas les images qui créent des schémas sociaux, comme cette proposition de loi veut nous le faire croire, mais les schémas sociaux qui se reflètent sur ces images».[4]


[1] LEIRITZ Christine, “Pas (re)touche!”, edito in Marie-Claire, avril 2010, page 30.

[2] Proposition de loi relative aux photographies d’images corporelles retouchées, http://www.assemblee-nationale.fr/13/propositions/pion1908.asp

[3] GUNTHERT André, “Le détail fait-il la photographie”, L’Atelier des icônes, 7 mars 2010, http://culturevisuelle.org/icones/447

[4] LEIRITZ Christine, “Pas (re)touche!”, art. cit.

Billet initialement publié sur L’Appareil des apparences, blog de Culture visuelle

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Lady Gaga killed the music star http://owni.fr/2010/03/15/lady-gaga-killed-the-music-star/ http://owni.fr/2010/03/15/lady-gaga-killed-the-music-star/#comments Mon, 15 Mar 2010 07:14:16 +0000 André Gunthert http://owni.fr/?p=10045 Du temps du Scopitone, les petits films de variétés n’étaient qu’un produit dérivé de la chanson. Avec MTV, qui installe le format du clip musical, la relation entre ces deux volets de l’industrie du disque devient plus étroite et plus complexe. Mais la diffusion gratuite de Thriller par les chaines de télévision reste un support de promotion étroitement lié à l’album éponyme du King of pop. Musique et spectacle sont dans le même bateau.

En affichant l’ambition d’une superproduction, avec Jonas Akerlund dans le fauteuil de John Landis, “Telephone”, la nouvelle vidéo de Lady Gaga, diffusée sur YouTube (vue 12 millions de fois depuis vendredi), propose une nouvelle étape. Ici, il est clair que la chanson n’est plus qu’un support destiné à agrémenter la présentation d’une galerie d’images choc, comme l’illustration musicale d’un défilé de mode.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Poussant au bout la logique testée par Madonna, le Lady Gaga look and feel met le format du vidéo clip tout entier au service de l’imagerie. Une imagerie constamment au second degré, dont le modèle de référence est moins l’esthétique cinématographique que la permanente recherche d’effets de style des magazines de mode. Un art qui n’est plus celui du montage ni de la citation, mais celui du défilé des images et de la stupéfaction. Un art que Lady Gaga incarne à la perfection.

Billet initialement publié sur Totem, blog de Culture visuelle

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