Europe 1 a testé ce matin, sur son site web refait à neuf, une expérience de live-twitting de l’interview du Premier Ministre François Fillon. Une vingtaine de « personnalités » (personnalités politiques, journalistes et blogueurs) pouvaient commenter en direct l’entretien, les gazouillis étant directement intégrés dans une rivière de flux sur le site d’Europe 1. Patrice Thomas m’avait proposé de participer, au sens de faire partie de cette sorte de panel. Ce genre d’opération permet de tester la nouvelle plateforme d’Europe1.fr, sans doute, mais aussi d’expérimenter de nouveaux formats hybrides, ce qui est plus intéressant et justifie que j’accepte, comme Vinvin.
Il semble que la technique ou un oubli m’ait fait passer à la trappe. Regardons tout de même de près ce que cela a pu donner.
En amont, certains se sont mis une sorte de pression, qu’il s’agisse de la qualité pour laquelle Europe 1 les avait choisi (comme Thomas Bronnec de l’Express.fr) ou de ne pas passer pour un intrus au milieu des autres participants (comme Vinvin). Il était plutôt drôle de voir les participants, qui ne se parlent pas plus que cela d’habitude dans la volière, s’apostropher ou s’échauffer. Sans doute pour se mettre en condition, un peu comme avant d’être… en plateau.
Plusieurs critiques sur Twitter ont fleuri quant à #E1Fillon, Donjipez y verra sans doute un nouvel avatar de ce qu’il appelle, sans doute pas complètement à tort, une forme de médiacratie. Voire un moyen d’attirer à soi ceux qui ont déjà une audience sur Twitter. D’accord. Accordons aussi sur le coup-là à Europe 1 le mérite d’essayer quelque chose, quitte à faire mieux ou différent la prochaine fois. Reprendre l’ensemble des gazouillis utilisant le hashtag dédié (#E1Fillon) plutôt que faire une préselection (toujours contestable) semblerait être plus ouvert, mais très honnêtement il devient difficile de suivre un événement à partir d’un simple hashtag (Laurent a testé), et surtout le taux de pollution (pas les plaisanteries, il en faut sans doute aussi, mais le volume de messages inutiles ou retwitts) gène la lecture.
L’idée est plutôt bonne à l’origine : Europe1.fr est un site web, il semble assez naturel d’intégrer les réactions des utilisateurs de Twitter. Mais cela n’a pas suffit et il semble que plusieurs participants même aient été déçus.
Les ratés :
Ce qui serait (peut-être) plus pertinent :
Intégrer vraiment ce « panel » dans l’interview, par exemple garder deux ou trois questions ou demander à François Fillon de commenter les remarques, durant les cinq dernières minutes. Plusieurs émissions fonctionnent sur ce principe de questions extérieures (SMS, e-mail, rajouter donc Twitter), par exemple C cans l’air sur France 5, le format semble fonctionner.
Séparer web et radio ? Le tempo de l’un et de l’autre ne sont sans doute pas compatibles. La radio demande de faire court, de l’emphase, des effets de manche oraux. Le web est différent, il n’a pas les mêmes contraintes, il permet aussi de lisser les périphrases ou les phrases entières qui ne servent qu’à meubler le temps que l’on trouve quelque chose à dire quand on est pris au dépourvu ou que l’on ne souhaite pas répondre.
Il est difficile de savoir ce qui motive cet exercice.
Renouveler l’exercice compassé de l’interview matinale bien cadrée ? Sans doute. Ouvrir la parole à d’autres formes , l’autre exemple récent sur TF1, Paroles de Français, serait un signe de cette envie.Etrange, il existe déjà plein de chroniques qui font un peu la passerelle, apportant au grand public bruits, rumeurs et réactions de ce qui se dit et se passe en ligne, même chez Europe 1 avec C’est pas très net. Guy Birenbaum faisait d’ailleurs partie du panel, fidèle au style qu’il souhaite donner à sa chronique, il a navigué entre #LOL et verbatims.
Surfer sur le capital sympathie, haine et buzz de Twitter ? Peut-être bien aussi, l’expérience Huis Clos sur le Net procède peut-être de cet esprit là également.
L’envie d’essayer autre chose, de faire éventuellement émerger d’autres voix qui sont régulières mais ailleurs ? Le simple fait que Marc-Olivier Fogiel ne cite que Jean-Paul Huchon montre que ce n’est pas encore le cas. Quand on cherche un expert ou une personnalité pour commenter, les médias classiques ont encore recours aux vieux réflexes des « bons clients » et des têtes bien identifiées au détriment d’autres participants.
Quel autre média s’essaiera au mélange avec Twitter ? La télévision n’a pas encore cédé à la tentation de l’expérience, mais il me semble que c’est typiquement l’endroit, plus encore que la radio qui est elle aussi chaude mais sans besoin frénétique de l’image, qui ne s’y prêterait pas. A suivre.
Pour rire un peu : aucun des participants n’a contacté Magpie pour faire de la publicité sur Twitter, et argumenté pour obtenir une revalorisation des gazouillis sponsorisés relayés sur un site très visité. Même si l’idée de monétiser cette opération est bel et bien venue à l’idée de certains.
Pour aller plus loin :
Pour se rappeler :
Dans un genre différent, l’Express avait essayé un débat sur Twitter entre Nathalie Kosciusko-Morizet, Benoît Hamon et Alain Lambert. Cela n’avait pas été très concluant non plus, pour des raisons différentes.
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]]>Le défi
Europe1.fr n’est donc plus un site de radio mais un portail d’information, comme l’a expliqué son créateur dans un article élogieux du JDD (Groupe Lagardère, sic). Ce changement majeur intervient au moment où la radio accède au podium de Médiamétrie, face à un leader luxembourgeois encore très fort sur les ondes et sur le web avec 2,4 visiteurs uniques, contre 1,8 pour Europe 1 (chiffres Nielsen/Netratings, octobre 2009). Ce qui est finalement très peu par rapport au nombre d’auditeurs de ces mêmes radios et aux autres sites d’informations en ligne comme LeMonde.fr et LeFigaro.fr, qui oscillent entre 5 et 6 millions de visiteurs. Le défi est de taille, mais avec ces bouleversements (et des moyens constants), il n’est pas risqué de parier qu’Europe 1 dépassera RTL… sur Internet. L’objectif est clairement annoncé : “dépasser les 3 millions de visiteurs uniques mensuels en 2010″ (voir interview). L’opportunité est d’autant plus grande que RTL assume ne pas avoir de contenus propres au web. Pour Tristan Jurgensen, directeur général de RTL Net « ma porte d’entrée, ça reste la radio [...] d’ailleurs, mon meilleur vecteur de publicité, c’est l’antenne ».
Les risques
Cette nouvelle stratégie n’est pas sans risque vis-à-vis des investissements consentis (embauche d’une trentaine de personnes !). A titre d’exemple, France Info qui joue légitimement la carte de l’actualité sur le web ne compte que 900.000 visiteurs uniques par mois (nov. 09) contre 4,5 millions d’auditeurs par jour. Le plus gros risque serait de trop s’éloigner de l’esprit radiophonique, élément clé de la marque Europe 1. Avec ce nouveau site, la station a relégué au second plan tout ce qui fait la valeur d’une radio : le son. Contrairement aux précédentes versions, les articles d’actualité en format texte représentent près de 75% des pages, il n’y a plus de player rapide pour écouter le dernier flash et, comble du comble, même pas d’intégration de reportages audio dans les articles d’actualité. En clair, l’actualité est coupée de l’antenne. Où est la valeur ajoutée par rapport aux nombreux concurrents ?. Les possibilités de se démarquer sont donc faibles.
Les seuls contenus d’antennes disponibles sont des contenus de rattrapage (”catch-up radio” ?), des vidéos bonus, et des pages spéciales sur certains animateurs, dont on se demande comment ils vont réussir à les actualiser à long terme. La solution miracle semble être les sondages, on en compte près d’un par page !
Les incohérences
Cette nouvelle logique de portail comporte à mon sens quelques failles dans l’environnement web actuel. Je vous passerai les remarques de pinailleurs, comme les mauvais détourages de photos ou les pages blanches. Le plus grave est qu’Europe 1 ne semble pas croire aux médias sociaux et à leur puissance de drainage et fidélisation des internautes. Pas de Facebook Connect, pas de liens avec Twitter, pas de live-feed, suppression des blogs de la rédaction… L’aspect communautaire est réduit à un “Club Europe 1“, sorte de carte de fidélité 2.0, copie-conforme du Club France Télévisions, avec tout juste une page fan Facebook (Ouf !) qui plafonne déjà à 794 fans. Europe 1 mise sur une participation cadrée des internautes, à travers des fonctions classiques de commentaires et de sondages.
Autre absurdité, celle que j’appellerai les “vidéos fixes” : la grande marque de fabrique d’Europe 1. Elle consiste à proposer la réécoute d’émissions avec un player vidéo, mais sans vidéo, avec simplement une image fixe de l’animateur. Certes la vraie vidéo est présente par ailleurs dans certains cas, mais reste minoritaire. Alors pourquoi pas proposer un simple player de son ? Qui peut le plus, peut le moins. Cela permettrait au moins d’alléger visuellement la redondance de certaines pages (voir ci-contre).
Rumeur et malice
Pour finir sur une note positive : une astuce de conception très maligne, celle du diaporama avec chargement d’une nouvelle page à chaque changement de photos (au lieu d’un slideshow sous flash sans rechargement)… et Dieu créa la multiplication des clics et des pages vues. Toute dernière observation, cette nouvelle version d’Europe 1.fr renforcerait-elle la rumeur de disgrâce de Jean-Marc Morandini. En effet, le site est pourvu d’une rubrique “médias” ET d’une rubrique “Télé” et pourtant il n’est aucunement mention de l’animateur-vedette-expert du petit écran. CQFD.
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