OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 L’image des irradiés qu’on nous cache http://owni.fr/2012/04/27/limage-des-irradies-quon-nous-cache/ http://owni.fr/2012/04/27/limage-des-irradies-quon-nous-cache/#comments Fri, 27 Apr 2012 10:53:16 +0000 Claire Berthelemy et Sabine Blanc http://owni.fr/?p=105001 OWNI propose un état des lieux global des contaminations provoquées par les installations nucléaires françaises au cours des dix dernières années. La France, par tradition, dissimule ces données chiffrées. Derrière lesquelles tentent de vivre, ou survivre, les fantômes de la contamination. Sur OWNI, aujourd'hui, plusieurs articles sont consacrés à cette maladie honteuse, bien de chez nous. ]]>

Du point de vue de la santé mentale, la solution la plus satisfaisante pour l’avenir des utilisations pacifiques de l’énergie atomique serait de voir monter une nouvelle génération qui aurait appris à s’accommoder de l’ignorance et de l’incertitude…
Rapport de l’OMS de 1955, Cité par Jacques Ellul, in Le bluff technologique, p 294

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“Légère irradiation d’un expérimentateur”, “perte de protection biologique dans un local de travail”, “accident de niveau 1 sur une échelle qui en compte 7”. Si un profane survole les rapports de l’Autorité de sureté nucléaire (ASN), chargée du contrôle des installations nucléaires françaises,  il ne s’inquiètera pas des contaminations touchant les salariés du secteur.

RAS, nucléaire : rien à signaler, pour reprendre le titre du documentaire d’Alain de Halleux. À partir des avis d’incidents disponibles sur le site sous une forme particulièrement indigeste, OWNI a ré-exploité ces données pour visualiser, en une seule et même image, les contaminations produites par le nucléaire français. C’est l’image ci-dessous. Vous pouvez cliquer dessus puis zoomer à l’intérieur pour prendre connaissance des différents cas.

Derrière la froideur technocratique rassurante des rapports de l’ASN, la réalité est plus inquiétante. Certains chercheurs estiment que des conséquences aussi graves que l’amiante en terme de santé publique sont à prévoir. Le fichier Dosinat – mis en place en 1992 par EDF – répertorie pour chaque intervenant, qu’il soit sous-traitant ou non, les doses qu’il reçoit. Il est établi que les sous-traitants encaissent 80% des irradiations dans nos dix-neuf centrales. Pourtant, dans les informations des rapports, il est ainsi impossible de savoir systématiquement si des sous-traitants ont été touchés, encore moins le nom de leur entreprise.

On ignore aussi dans la plupart des cas le radioélément impliqué. Information pourtant importante puisque selon le radioélément, les effets seront plus ou moins forts et longs. De même, on ne sait pas systématiquement si l’accident a lieu pendant un arrêt de tranche ou une autre période de maintenance, durant lesquels le recours à la sous-traitance est très majoritaire : EDF sous-traite à plus de 80% sa maintenance, et les sous-traitants sont trois fois plus touchés par les accidents du travail.

Le thermomètre cassé

Il est admis qu’un être humain doit rester à 37° de température environ. Au-delà, il faut s’inquiéter. Mais admettons qu’un décret indique que la température normale soit désormais comprise entre 37 et 39°, par exemple quand sévit une épidémie de grippe. Une partie de la population cesse d’entrer dans la catégorie des gens atteints de fièvre.

C’est ce qui s’est passé avec le nucléaire, industrie où cette question du thermomètre est au cœur de la controverse scientifique. Les seuils ont en effet été abaissés avec les ans, modulant dans le sens d’un renforcement la notion de dangerosité. En France selon le Code du travail, il était de 50 mSv à partir de 1988, de  30 mSv jusqu’en 2003, puis de 20 mSv, la norme actuelle. À titre de comparaison, le reste de la population ne doit pas dépasser 1 mSv/an/personne dixit le Code de la santé publique.

Ce seuil, fixé sur la base des recherches du Commission internationale de protection radiologique (CIPR), est remis en cause par celles du Comité européen sur le risque de l’irradiation (CERI) depuis 2003. Leurs conclusions : il faut diviser par 4 le seuil actuel, soit 5 mSv. Et par conséquent, la dangerosité d’une partie des incidents de contamination relevée par l’ASN devrait être reconsidérée à la hausse. L’IRSN reconnaitra lui-même en 2005 que ces problèmes soulevés par le CERI “ont été largement négligés par la communauté scientifique.”

Enfin, les incidents en-dessous de 10 000 becquerels ne font pas l’objet d’un rapport de l’ASN. Or l’IRSN reconnaissait aussi que les recherches sur les effets des faibles doses avaient jusqu’à présent été basées sur un postulat faux :

Il a longtemps été postulé que l’incorporation de 100 becquerels en un jour revenait à incorporer 1 becquerel pendant 100 jours. Cela est tout à fait exact mais faux en biologie.

La traçabilité est donc perfectible, comme le souligne Annie Thébaud-Mony, sociologue et directrice de recherche honoraire à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).

Une déclaration d’incident de travail (différente du rapport ASN) devrait être faite systématiquement puisqu’il s’agit d’un risque grave, afin d’avoir une trace de toutes les contaminations, y compris celles en-dessous du seuil. Selon la législation, les lésions peuvent être immédiates ou différées. Et ce n’est jamais fait.

Une procédure judiciaire a été engagée à l’initiative d’un inspecteur dans ce sens, mais sa demande a été déboutée en correctionnel.

Nous avons lancé une campagne notamment avec des syndicalistes délégués de CHSCT [Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, NDLR] de différentes centrales pour inciter à faire la déclaration, et si l’entreprise refuse, l’employé a deux ans pour le faire. Il y a eu une circulaire de la direction du parc nucléaire pour dire qu’il n’y avait pas de raison de faire une déclaration, révélée par Mediapart [payant]. Cela nous a servi de leçon, j’ai dit aux inspecteurs du travail qu’il fallait aller au-delà du droit du travail sur le pénal pour mise en danger d’autrui, on en est là.

Biaisé, le thermomètre l’est aussi par le peu de fiabilité des dosimètres. Les travailleurs doivent en porter deux, un dosimètre-film et, depuis la fin des années 90, un dosimètre électronique. Annie Thébaud-Mony estime qu’“il présente 20 à 40 % de marge d’erreurs. Et entre les deux dosimètres, il y a 20% de taux d’erreur.” Nous avons contacté EDF pour avoir des explications sur ce sujet, qui nous a “conseillé d’interroger les fournisseurs de dosimètres, notamment l’IRSN”. Ces derniers n’ont pas répondu.

Parfois, le dosimètre est jeté aux orties : un rapport datant de 2006 de l’inspecteur général d’EDF mentionne “une pratique préoccupante de salariés qui ne portent pas de dosimètre”. Une pratique préoccupante dont elle se défausse sur les entreprises sous-traitantes. Perversité de ce système des poupées russes.

Personne pour vérifier

Derrière chaque incident, la proposition de l’exploitant d’un classement sur l’échelle INES. ”Soit l’ASN est d’accord avec l’exploitant, soit il lui explique pourquoi. C’est un partenariat.” se défend l’ASN. Et bien souvent, le classement de l’exploitant est validé par l’autorité. Pour pouvoir juger des conséquences, l’ASN a donc en main une déclaration – de bonne foi – des exploitants, qui proposent un classement. Parfois, les équipes de l’ASN se déplacent pour vérification ou appréciation sur le terrain. Mais ”rarement dans le cas d’un niveau 0. S’il n’y a pas d’enjeu, on ne se déplace pas”, confie un des employés de l’autorité :

Ça dépend des informations que nous avons à partir de la déclaration. On les appelle et on voit selon ce que dit l’exploitant. Les investigations interviennent juste après la déclaration d’évènement. En fonction, on peut arrêter l’installation. La responsabilité première est celle de l’exploitant : on se base sur ce qui est dit et sur la nature de ce qui s’est passé. On peut aussi solliciter l’appui technique de l’IRSN [Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire, NDLR].

Le bras de fer entre les deux instances n’est que le reflet de ce que l’humain peut peser dans une échelle de classement : pas grand chose au vu du peu d’importance que revêtent les contaminations dans le classement INES.


Nous remercions vivement, dans l’ordre d’arrivée, Julien Kirch (au code), Cédric Suriré, doctorant en socio-anthropologie du risque et des vulnérabilités, Annie Thébaud-Mony et Marion Boucharlat (au graphisme), sans qui ce travail n’aurait jamais abouti.

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Le MOX revient à la réalité http://owni.fr/2011/11/21/le-mox-revient-a-la-realite-edf-blayais/ http://owni.fr/2011/11/21/le-mox-revient-a-la-realite-edf-blayais/#comments Mon, 21 Nov 2011 07:31:49 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=87403

Pendant que le Parti socialiste et Europe Écologie-Les Verts s’écharpaient à propos d’un paragraphe de leur accord se référant au MOX, le groupe EDF, lui, intensifiait son lobbying pour alimenter avec ce fameux MOX (le plus radioactif des combustibles nucléaires) deux réacteurs de la centrale du Blayais, près de Bordeaux.

Une enquête publique [PDF], démarrée lundi 14 novembre, permet aux habitants et acteurs locaux de poser des questions à l’un des trois commissaires enquêteurs désignés – dont un ingénieur retraité d’EDF – pour effectuer des permanences d’information au public, comme nous avons pu le constater sur place.

Le MOX est une spécialité française : combustible de deuxième génération, composé d’un mélange de plutonium (7%) et d’uranium (93%) et fabriqué à Marcoule par Melox (une entreprise du groupe Areva), il est élaboré à partir des matières recyclées à l’usine de retraitement de La Hague. Des experts sollicités par Greenpeace soulignait dès 2001 l’extrême dangerosité de ce mélange, présent en nombre dans les réacteurs de Fukushima.

À la centrale du Blayais, pour permettre l’arrivée de ce MOX dans deux nouveaux réacteurs, EDF presse les autorités de modifier le décret autorisant l’installation nucléaire locale. En prenant acte, notamment, que les deux premiers réacteurs du Blayais fonctionnent déjà au MOX depuis 1994 et 1997.

Dossier imprécis

Cependant, un avis de l’Autorité environnementale du Ministère de l’écologie et du développement durable (AE), datant de juillet dernier, pointe un certain nombre de défaillances dans le dossier remis par EDF et disponible sur le site du groupe. Michel Badre, président de l’Autorité environnementale nous précise :

Nos avis sont obligatoirement sollicités par les maîtres d’ouvrage, dès qu’il y a étude d’impact et enquête publique. Ils n’ont pas de valeur contraignante, mais doivent être joints au dossier d’enquête publique, et publiés sur site internet (le nôtre, et celui de l’autorité qui instruit le dossier). Tout le monde peut donc y avoir accès, et les utiliser en cas de recours.

Saisie par la Direction générale de prévention des risques du ministère de l’Écologie et du Développement durable, l’Autorité environnementale a rédigé son avis délibéré le 20 juillet. 26 pages techniques et critiques. Au départ, le texte concernait l’évaluation environnementale du dossier de demande de modification du décret.

Mais très vite, la question seule de l’emploi du MOX s’est imposée sur les autres : la centrale prélevant et rejetant son eau dans l’estuaire de la Gironde, lui même site protégé – classé site Natura 2000 pour la préservation des espèces. L’étude d’impact sur l’introduction du MOX dans les réacteurs 3 et 4 de la centrale s’est transformée en une mise à jour de celle de la fin des années 70 :

Dans les faits elle se présente comme une actualisation, pour l’ensemble du site du Blayais, de l’étude d’impact de la fin des années 1970. Il faut par ailleurs garder en mémoire qu’une telle actualisation était considérée comme opportune par de nombreux partenaires concernés par les impacts du CNPE [Centre nucléaire de production d'électricité, NDLR]

Le rapport met surtout en évidence des manquements d’EDF dans les dossiers de présentation. Et pointe du doigt les enjeux sur la santé, l’environnement  et « la prévention des risques accidentels ».

Dans les faits, EDF souhaite introduire le MOX pour des motifs de rentabilité. Or l’avis de l’Autorité environnementale souligne l’absence de bilan de l’entreprise sur sa stratégie environnementale. Et son silence sur l’impact de ses activités :

La justification du choix de « moxer » les réacteurs 3 et 4 du Blayais en un peu plus de trois pages ne peut cependant pas être considérée comme satisfaisante. [...] Aucun développement n’est proposé sur cette nouvelle filière technologique et sur ses perspectives opérationnelles raisonnables à échéance de 2050. La conclusion semble dès lors hâtive : « En définitive, le traitement et le recyclage, avec les installations existantes, constituent aujourd’hui une filière industrielle totalement maîtrisée pour gérer les combustibles usés...».

Pour le rapport, le plutonium, retrouvé en grande quantité dans le combustible nucléaire irradié, est un des éléments “qui pose le plus de problèmes à la filière de retraitement, compte tenu de ses caractéristiques qui le rendent très dangereux (très forte radiotoxicité et durée de demi-vie de 24 000 ans pour le Plutonium 239)”. Le groupe prédit même un avenir qu’il n’est pas en mesure d’estimer concernant un second recyclage du plutonium contenu dans le MOX, dont les pastilles sont un million de fois plus radioactives que celles d’uranium . Le retraitement du plutonium est, pour EDF, une certitude :

Bien qu’il n’existe actuellement aucune perspective validée en France de recycler une seconde fois le plutonium (contenu dans les assemblages MOX usés), le maître d’ouvrage estime que « les combustibles MOX usés permettent ainsi de constituer une réserve de plutonium pour EDF » dans la perspective d’une nouvelle génération (dite IV) de réacteurs à horizon 2050.

“Du pire au super-pire”

Mais le comble, pour un dossier consultable par le public, concerne son manque de lisibilité. Il est jugé par l’Autorité environnementale comme étant « difficile à lire, tant par sa longueur et son organisation générale (renvoi de parties essentielles dans des annexes) que par sa rédaction ». Sur le site d’EDF, 1448 pages en format flash, non téléchargeables.

L’Autorité environnementale recommande de trouver un mode de présentation qui permette de mieux hiérarchiser les enjeux que l’étude d’impact doit prendre en charge, du double point de vue des impacts sur l’environnement et la santé humaine et de celui de l’information du public. [...] l’Autorité environnementale recommande au maître d’ouvrage de mettre à disposition, lors de l’enquête publique, des moyens informatiques permettant de retrouver rapidement les pages concernées par des mots clés qui pourraient être identifiés notamment avec la contribution de la Commission locale d’information du site nucléaire du Blayais.

Pour Stéphane Lhomme, président de l’Observatoire du nucléaire, ancien porte-parole du réseau Sortir du nucléaire et président de l’association Tchernoblaye :

C’est encore pire avec le MOX en cas de catastrophe. En plus de tous les produits qu’il y a dans les réacteurs, il y aura du plutonium. On en est à comparer le pire avec le super-pire. EDF, après Fukushima continue et veut ajouter du MOX comme s’il ne s’était rien passé. On sait à l’avance que le verdict final sera positif pour EDF même si tous les gens qui viennent à l’enquête publique ajoutent des annotations contre la modification du décret. Même si dix mille personnes le refusent.

Le Ministère de l’écologie aura le dernier mot.


Illustration Flickr PaternitéPartage selon les Conditions Initiales gadl

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L’avenir sera atomique http://owni.fr/2011/04/28/lavenir-sera-atomique/ http://owni.fr/2011/04/28/lavenir-sera-atomique/#comments Thu, 28 Apr 2011 15:33:11 +0000 Pierre Ropert http://owni.fr/?p=59375 [Disclaimer : L'article ne reflète en rien les opinions de l'auteur ou de la rédaction. Il s'agit d'un exercice de style consistant à prendre volontairement un point de vue pro-nucléaire.]

Un mois et demi après l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima Daiishi, la volonté d’une sortie du nucléaire n’est plus seulement l’opportunisme indécent qui était reproché aux Verts. L’idée a fait son chemin. Et si c’était possible ? Dans 30 ans, 50 au plus, affirment les écologistes, nous pourrions en avoir terminé avec l’atome au profit d’autres énergies.

Difficile d’envisager une telle option alors que la France a fait le choix du tout nucléaire il y a maintenant 40 ans. Le gouvernement ne peut pas décider facilement de sortir d’une industrie qui fournit 75 % de l’électricité consommée en France, et qui la fait rayonner pour son expertise à travers le monde (tout en générant chaque année près de 45 milliards d’euros de chiffre d’affaires pour EDF, qui appartient à 80 % à l’État).

La sortie rapide, c’est pourtant ce que prônent les anti-nucléaires, sans pour autant s’interroger sur son véritable rôle en France. Et si nous nous faisions l’avocat du diable ? Non pas pour minimiser la gravité de la situation à Fukushima Daiishi, mais bel et bien pour s’interroger sur l’utilité de l’atome à l’heure des énergies renouvelables.

Récupération politique

Plusieurs pays d’Europe ont même franchi le pas, en annonçant l’arrêt des projets en cours ou la fermeture de centrales en activité. En témoigne le revirement d’Angela Merkel et de son parti, jusqu’ici plus pro-nucléaires qu’anti. La réouverture d’anciennes centrales a été annulée, et l’Allemagne doit encore se prononcer sur la fermeture de la moitié de son parc nucléaire. Reste à savoir si ce brusque volte-face témoignait d’une véritable volonté de changement ou d’une récupération purement opportuniste, à quelques jours des élections régionales.

Si une telle décision ne risque pas de plonger nos voisins d’Outre-Rhin dans le noir, il faudra cependant accroître la production électrique des sources d’énergie alternatives. Ou acheter l’électricité ailleurs… comme en France, par exemple.
La politique énergétique de l’Allemagne a ceci de particulier que, révisée en 2000, elle doit déjà conduire à une sortie du nucléaire en 2021. Un engagement rendu possible par le fait que le nucléaire n’y représente que 24 % de la production électrique. Outre-Rhin, si les énergies renouvelables et le gaz occupent une place importante (respectivement 17 % et 14 %), ce sont encore les centrales à charbon, extrêmement polluantes, qui fournissent le pays en électricité : elles représentent pas moins de 42 % de la production allemande.

La moins dangereuse des énergies ?

Sauf que le nucléaire est, à bien y regarder, bien moins inquiétant que les énergies fossiles, qui dominent encore largement la production électrique à travers le monde.

Selon une infographie réalisée par le site NextBigFuture, qui s’appuie sur plusieurs sources [en] (dont l’Organisation Mondiale de la Santé ou l’Agence Internationale de l’Energie Atomique), le nucléaire est bien moins meurtrier que le charbon ou le pétrole. Elle calcule le nombre de morts par Térawattheure (1 TWh équivaut à 1 milliard de KiloWattheure, le KiloWattheure étant la mesure de l’énergie d’un appareil consommant 1000 watt en 1 heure de temps).

Cette infographie s’appuyait initialement sur les chiffres de l’AIEA (4.000 morts maximum à Tchernobyl). Même, en utilisant une étude beaucoup plus pessimiste (300.000 morts, en incluant les décès des cancers futurs), le nombre de morts par TWh dus au nucléaire reste de très loin inférieur à ceux du charbon, du pétrole, ou du gaz.

Ici le graphique réévalué : 161 morts par TWh pour le charbon, contre 2,7 pour le nucléaire.

Les décès imputés à la rupture du barrage de Banqiao, en Chine, est pris en compte, d’où le résultat élevé pour ce qui est de l’énergie hydraulique. Tout comme Tchernobyl, il s’agit d’un accident, et la famine, au même titre que les radiations, est une conséquence directe de la destruction de cette infrastructure.

Les énergies alternatives ? Du vent !

Si l’on considère la dangerosité, c’est donc incontestablement vers les énergies alternatives qu’il faudrait se tourner. Avec la menace, de plus en plus concrète, du réchauffement climatique, et donc la nécessité d’un arrêt de la production de CO2, les centrales nucléaires et les énergies renouvelables semblent être les solutions les plus viables. L’énergie atomique pose cependant le problème de la gestion des déchets radioactifs. L’urgence d’un changement de mode de production, couplée à ces déchets intraitables et difficiles à stocker, devrait donc nous amener à privilégier les énergies dites vertes. Sauf qu’au vu de l’augmentation quasi-constante de la consommation électrique, les énergies alternatives sont proprement insuffisantes en terme de rendement.

Tomroud explique parfaitement cette problématique sur son blog :

Pour stabiliser la concentration du CO2 dans l’atmosphère [...], il faudra produire d’ici 2050 une puissance supplémentaire équivalente à la puissance totale produite aujourd’hui sans brûler d’énergie fossile. Insistons : considérez toute l’énergie produite aujourd’hui en une seconde dans le monde. D’ici 2050, il faudra trouver une façon de doubler cette production énergétique sans rejeter la moindre molécule de CO2 supplémentaire dans l’atmosphère ! [...]

Il y a donc a priori beaucoup de place pour le renouvelable d’origine solaire, qui, comme on l’a dit, reste de toutes façons la seule “vraie” source d’énergie externe. Cependant, là encore, il faut faire du quantitatif. Et on s’aperçoit que ça cloche rapidement . Si on regarde tout le potentiel éolien à 10 m du sol, on arrive à seulement 4 TW. Rajouter 2TW en mettant des barrages un peu partout pour faire de l’hydroélectricité. 5 TW en transformant toutes les terres cultivées en bio-carburant. Bref, même en ruinant terres arables, écosystèmes et paysages pour produire de l’énergie, en réalité, le compte n’y est pas du tout, et je serais curieux de savoir quelle est donc l’alternative non carbonée proposée de façon réaliste par les écologistes !

La seule solution réaliste sur le moyen terme est de trouver un moyen d’utiliser directement l’énergie solaire. Le problème c’est que l’énergie solaire est très diffuse. En fait, comme on connaît exactement la quantité de soleil reçue pour une surface donnée, on peut montrer que pour qu’un panneau solaire soit rentable face à des carburants fossiles (c’est-à-dire qu’il fournisse autant de kWh par dollar investi), il faudrait que le prix d’un panneau solaire ne dépasse pas 10 fois le coût de la peinture nécessaire pour recouvrir sa surface. Le verdict est évident : la technologie solaire actuelle n’a aucune chance d’être compétitive économiquement face aux carburants fossiles.

La conclusion est simple : le problème est insoluble aujourd’hui. Et pour pasticher Thatcher, There Is No Alternative, la seule solution viable passe par une exploitation de la puissance solaire reçue, qui implique le développement de nouvelles technologies permettant de réduire le coût de production de l’énergie par unité de surface à celui d’une peinture de luxe. Bref, seule la science peut nous sauver.

Et de la même façon que la science peut améliorer le rendement des panneaux solaires ou améliorer le captage du CO2, il n’est pas exclu qu’elle permette de trouver des solutions à la problématique des déchets nucléaires.

Sortir du nucléaire, mais vers quoi ?

Dans l’immédiat, à moins d’un retour aux centrales à charbon, le réseau électrique est constitué de telle sorte qu’il est impossible de sortir du nucléaire. En Europe, la tension s’établit à 230 volts pour une fréquence de 50 htz. L’ensemble des appareils qui se branchent sont d’ailleurs calibrés sur cette mesure.

Si la tension augmente ou diminue trop, l’ensemble du réseau électrique disjoncte. C’est exactement ce qu’il s’est passé lors de la grande panne électrique de 2003 aux Etats-Unis : la tension s’est écroulée quand, après un déséquilibre à un point du réseau, les centrales restantes n’ont pas pu accélérer suffisamment pour répondre à la demande. L’ensemble du réseau a alors cessé de fonctionner, privant des millions d’Américains d’électricité.

En France, ce sont les centrales nucléaires qui fournissent l’énergie nécessaire. Chaque matin, quand la population se lève pour prendre sa douche et son café, la demande supplémentaire d’électricité entraîne des pics de consommation. Il faut alors augmenter la puissance électrique fournie. L’énergie nucléaire étant extrêmement longue à faire varier, il est nécessaire de démarrer des centrales d’appoint (thermiques), ou des barrages hydrauliques, pour encaisser la demande.

L’éolien ou les panneaux solaires ne sont malheureusement pas du tout adaptés à ces pics, puisqu’ils sont eux-mêmes soumis à des variations climatiques (les éoliennes doivent être freinées pour ne pas varier trop vite). De fait, la puissance électrique qu’ils fournissent n’est pas suffisante pour alimenter le réseau.

Idéalement, il faudrait pouvoir conserver l’électricité créée à l’aide d’énergies vertes. Mais les systèmes de stockage sont eux-mêmes particulièrement peu verts : les barrages hydrauliques peuvent emmagasiner l’électricité mais sont particulièrement nocifs pour les écosystèmes et les batteries susceptibles de la garder, basées sur des réactions chimiques, polluent énormément (sans compter un rendement peu efficace). On perdrait dès lors l’intérêt de ces énergies vertes comme énergies d’appoint.

Une diminution drastique de la consommation

La solution idéale serait donc une diminution drastique de la consommation mondiale d’électricité, qui continue de grimper régulièrement chaque année. Le passage au tout nucléaire voulu par le gouvernement permet, en France, des prix inférieurs de 35 % à la moyenne européenne (soit une facture d’environ 615 euros par an, contre à peu près 900 euros chez nos voisins). Cette politique d’une électricité moins chère incite à une surconsommation électrique impropre à la sortie du nucléaire. Un parfait cercle vicieux, qui rend beaucoup plus difficile l’idée d’une consommation moins poussée.

Quand bien même. Diminuer la consommation électrique ne permettrait pas de stopper centrales nucléaires et thermiques (charbon, pétrole et gaz). Les énergies renouvelables resteraient insuffisantes. Même en diminuant de manière drastique la consommation mondiale d’électricité, il manquerait énormément de TW au compteur : avec l’exemple d’une société à 2000 watt par personne, il manquerait ainsi 43.600 TWh.

Vers d’autres solutions

Tout comme les énergies fossiles que sont le pétrole et le charbon, l’uranium n’est cependant pas infini. Les réserves sont estimées suffisantes, au mieux, pour les 100 années à venir. Il faudra donc, à plus ou moins longue échéance, se tourner vers d’autres sources d’énergie.

Une des options envisagées n’est autre que la fusion nucléaire. C’est l’objectif du projet Iter, estimé à plus de 20 milliards d’euros, et qui devrait voir le jour en 2020 au plus tôt. “Iter sera le plus grand réacteur expérimental sur la fusion nucléaire”, explique Michel Claessens, le directeur de la communication d’Iter, actuellement en construction sur le site de Cadarache, dans les Bouches-du-Rhône :

Le but d’Iter est de produire de l’énergie grâce à des réactions de fusion nucléaire qui existent déjà dans les étoiles. Très schématiquement, au lieu d’essayer de couper les noyaux, comme avec la fission, nous allons essayer de les fusionner. Pour cela, on utilise l’hydrogène, l’atome le plus léger qui soit. A une température très élevée (plusieurs millions de degrés), les noyaux fusionnent et libèrent de l’énergie.

D’ici une bonne dizaine d’années, Iter devrait montrer que l’on peut produire de l’énergie nette grâce à la fusion. Mais les applications réellement industrielles ne seront pas possibles avant 40 ans.

Surtout, la fusion nucléaire serait sans risques, et l’éventualité d’une catastrophe nucléaire quasi nulle :

La fusion nucléaire est beaucoup plus sûre que la fission. Il y a bien de petits résidus radioactifs mais en très faible quantité, et surtout de très courte durée : une dizaine d’année. Le département sécurité a simulé l’accident le plus grave qui pourrait se produire : une fissure dans le réacteur suivie d’une fuite. Même dans ce cas, la radioactivité resterait 10 fois en dessous du seuil de tolérance de l’Etat francais. Il ne serait même pas nécessaire d’évacuer les populations.

À qui la faute si le mot nucléaire fait peur ?

Le problème n’est pas tant le nucléaire que sa gestion. À Tchernobyl comme à Fukushima Daiishi, ces catastrophes sont la conséquence directe d’un manque de prévention. L’accident au Japon témoigne cependant des progrès réalisés depuis la catastrophe ukrainienne. Informées, les populations ont pu évacuer à temps les lieux jugés dangereux. Les techniciens, s’ils sont loin de travailler dans des conditions idéales, sont toutefois mieux équipés que leurs homologues ukrainiens en 1986. Le véritable problème est en réalité celui de la communication, comme en atteste la façon dont cette dernière a été gérée par Tepco, le gestionnaire de la centrale, et les autorités japonaises.

L’absence d’informations claires, souvent démenties par la suite, participe du scepticisme anti-nucléaire. Difficile en France, par exemple, d’estimer si les fonds réservés au démantèlement futur des centrales nucléaires en fin de vie sont suffisants (28 milliards d’euros) quand on sait qu’ils sont quasi-quadruplés en Angleterre (103 milliards d’euros) pour un parc nucléaire bien moins important.

La peur panique de l’énergie atomique tient pour beaucoup aux informations contradictoires que se renvoient pro et anti-nucléaires. Les uns en refusant d’admettre des dangers, qui, s’ils ne sont pas prévenus, ont des conséquences dramatiques, les autres en diabolisant une énergie dont ils ne peuvent absolument pas se passer.

Lors d’une rencontre avec un agriculteur du Cotentin, en Normandie, près de l’usine de retraitement des déchets nucléaires de la Hague, celui-ci m’avait confié pouvoir comprendre qu’il y ait des problèmes avec le nucléaire mais regretter “qu’il faille toujours que ce soit des associations anti-nucléaires qui mettent le doigt dessus”.

Des années plus tôt, après un incendie impliquant l’usine de retraitement des déchets nucléaires, les agents de l’usine (gérée par la Cogema à l’époque) avaient conseillé à ses parents de ne pas faire sortir leur bétail pendant quelques jours.

Ils étaient même venus placer des dosimètres dans le buffet pour mesurer les radiations. Mon père avait demandé, quand ils étaient venus les récupérer, quels étaient les résultats.

Il ne les a jamais obtenus.

>> Photos Flickr CC par Bascom Hogue, jnyemb, zigazou76 et vgault.

Les autres articles de notre dossier :

La CGT d’EDF atomise les sous-traitants

“Une épidémie moderne pour préserver notre confort”

Image de une Marion Boucharlat pour OWNI, téléchargez-là :)

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http://owni.fr/2011/04/28/lavenir-sera-atomique/feed/ 41
Sous-traitants, “sacrifiés du nucléaire” http://owni.fr/2011/04/04/sous-traitants-sacrifies-du-nucleaire/ http://owni.fr/2011/04/04/sous-traitants-sacrifies-du-nucleaire/#comments Mon, 04 Apr 2011 16:10:18 +0000 Elsa Fayner http://owni.fr/?p=54609 Ils sont près de 30 000 en France, des intérimaires qui travaillent pour des entreprises prestataires. Car aujourd’hui, les sous-traitants assurent 80% des activités de maintenance des centrales, contre 50% au début des années 90. Pendant que les durées d’intervention ont été réduites par deux, pour effectuer toujours les mêmes tâches. Résultat : les nomades passent de plus en plus vite de centrale en centrale.

La relève n’est plus assurée

D’autant plus que, depuis 2005, le personnel vient à manquer. Après plus de vingt ans de traversée du désert, le nucléaire français retrouve des couleurs, mais s’inquiète : les pionniers du nucléaire partent à la retraite et la jeune génération ne souhaite pas prendre la relève. Trop pénible. Alors, les mêmes intérimaires tournent sans relâche et leurs conditions de vie se dégradent au fur et à mesure.

Leur maison : un camping-car

Au pied du château de Chinon, le camping ne désemplit pas. Les propriétaires locaux leur louent de leur côté un bout de champ, une caravane ou un mobile home, parfois une pièce, à côté de leur belle demeure ou dans la cour de la ferme.
L’Office du tourisme répartit les offres. Pendant que les vendeurs de kebabs, les laveries et les magasins fleurissent sur leur passage. Le soir, les intérimaires se retrouvent au bar, animant les petites villes en déclin. Parfois, ils retournent à la centrale de nuit, pour optimiser leur présence. Dormir quelques heures, entre deux interventions, dans les vestiaires.

80% des doses d’irradiation pour les intérimaires

Ces travailleurs, dits « extérieurs », effectuent l’essentiel des tâches de maintenance des centrales et supportent plus de 80% de la dose collective annuelle d’irradiation reçue dans le parc nucléaire français.

Alors, ils sous-déclarent leurs expositions aux radiations : les intérimaires ayant atteint la dose limite se voient interdits d’entrée en centrale. C’est leur moyen de préserver leur travail. Pas leur santé.

Pour limiter les dégâts, ils s’échangent conseils et recommandations. Le soir, au bistrot, ou à l’heure de l’apéro au camping, quand sortent les grandes tablées, ils ne parlent que de ça. De la centrale de Gravelines, où il faut faire attention à tel tuyau, à tel boulon. De celle de Tricastin, où l’omerta règne, mais dont certaines salles sont particulièrement dangereuses. C’est au comptoir que s’échangent les expériences, les savoir-faire, le métier, leur passion qui les ronge. De mars à octobre, chaque année, la période pendant laquelle la maintenance des centrales doit être effectuée.

L’hiver pour se soigner

L’hiver, ils se retrouvent en famille, et souvent au chômage. Certains redeviennent boulanger, commerçant, ouvrier. Quand d’autres se sont spécialisés dans le risque, et passent l’hiver dans la pétrochimie ou le déflocage de l’amiante.
Dans tous les cas, les problèmes de santé les rattrapent vite : troubles du sommeil, anxiété, leucémies, cancers, et tentatives de suicide. Depuis 1995, les syndicats sont en alerte. Cette année-là, cinq suicides de travailleurs extérieurs ont été enregistrés à la centrale de Chinon. Depuis, les tentatives se sont succédées. Autre signe : en 2003, la mutuelle de la centrale de Paluel (Seine-Maritime) remarque que 80% des feuilles d’assurance-maladie traitées prescrivent des calmants.

Billet initialement publié sur le blog d’Elsa Fayner, “Et voilà le Travail

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« Nous qui travaillons en zone à risques, notre crainte, c’est de rester enfermés dans la centrale », témoignage d’un sous-traitant du nucléaire

« Je me souviens d’un gars qui s’est exposé aux radiations pour préserver la sécurité de la centrale »

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Une Marion Boucharlat

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L’uranium enrichit la campagne http://owni.fr/2011/04/04/uranium-enrichit-la-campagne/ http://owni.fr/2011/04/04/uranium-enrichit-la-campagne/#comments Mon, 04 Apr 2011 15:02:45 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=54577 Les 1030 habitants de Belleville-sur-Loire dans le Cher peuvent batifoler dans un bassin de 25 mètres, faire du toboggan avec les enfants ou éliminer leurs toxines au hammam, pour la modique somme de 7,5 euros. Dans le village voisin, à Bonny-sur-Loire, 2.000 habitants, pas de chance, il n’y a rien du tout.

« Sinon, le village aurait quasiment été rayé de la carte »

La différence : deux réacteurs d’une puissance totale de 2.600 mégawatts dont la présence à Belleville se manifeste à des kilomètres à la ronde. Avec deux tours grises dont le panache de fumée barre le ciel, hiver comme été. Un effet papillon géant disgracieux mais lucratif – provoqué par le premier choc pétrolier de 1973. La France s’engage alors à fond dans le nucléaire pour assurer son indépendance énergétique. De cette politique naitront 58 réacteurs, dont ceux du Centre national de production d’électricité (CNPE) de Belleville, aux frontières du Loiret et de la Nièvre. « Sinon, le village aurait quasiment été rayé de la carte », résume Vincent Frégeai, maire de la commune depuis 1995.

Il parle en connaissance de cause du développement en mode champignon de ce bourg de 250 habitants,  « vieillissant, sans école, plein de maisons vides, qui se mourait doucement ». Son père était responsable de la construction de la centrale. Les travaux ont commencé en 1979. Moins de dix ans plus tard, les deux tranches étaient opérationnelles. Entre temps, le village était équipé pour accueillir une population qui avait plus que triplé. Les salariés de l’atome et leur famille comptent aujourd’hui pour environ un tiers des habitants de Belleville.

À l’époque, une procédure de grand chantier est mise en place : voies de communication, viabilisation – adduction d’eau potable, électricité, etc. – école, poste, salle des fêtes, cités EDF pour accueillir les nouveaux habitants, les travaux ont été menés au pas de charge, au grand bénéfice de l’économie locale. Pour éviter un déséquilibre trop grand, le choix est fait de saupoudrer les quelque 650 salariés dans une dizaine de communes alentours : Léré, Sury-près-Léré, Bonny-sur-Loire, Beaulieu, Chatillon, Gien, Cosne-sur-Loire, Briare… Il faut leur ajouter 200 salariés prestataires présents en permanence et les intérimaires : environ 1.500 prestataires sont employés tous les dix-huit mois lors des arrêts de tranche, voire 2.000 lors des arrêts décennaux-, et un camping a été construit à l’attention de ceux qui ne sont pas de la région, à Belleville.

Des équipement à foison

L'entrée du complexe sportif, qui a récemment été rénové.

En revanche, pour la troisième phase, celle de l’équipement en loisir, ce souci d’équilibre n’a pas prévalu : Belleville est aujourd’hui une ville sur-équipée pour sa taille. « Ce sont les autres communes qui sont sous-équipées », tacle Vincent Frégeai.
Quoi qu’on en pense, il est conseillé de retenir son souffle pour égrener la liste des équipements : centre aquatique donc, académie de musique, centre intergénérationnel, “jardins du savoir” ( = médiathèque), halte nautique sur le pont canal, complexe sportif, hôtel-restaurant 3 étoiles, Maison de Loire, une ancienne ferme qui servit durant la phase de construction d’ANPE avant d’être reconvertie, festival de jazz intercommunal d’envergure dont le siège est à Belleville… Bien au-delà des espérances d’Henri Foucher, maire jusqu’au début des travaux en 1979, qui « rêvait de feux tricolores »

Pour autant, les villages des environs n’ont pas été oubliés alors que leur voisine se gavait. Au total, EDF injecte via la fiscalité locale (taxe foncière, taxe professionnelle et arrêté de rejet de prise d’eau) un montant de près de 26 millions d’euros en 2010. Jusqu’à sa suppression en 2010, la taxe professionnelle était écrêtée, un système mis en place pour éviter des écarts trop importants.

Tel, par exemple, celui dont bénéficie la commune de Sury-près-Léré, recueillant cette année 505.000 euros, soit le quart de son budget annuel. Une manne qui lui a permis aussi d’améliorer l’ordinaire, nous raconte Pascal Viguier, maire de Sury-près-Léré :

Depuis 1990, nous avons refait le centre bourg, réhabilité l’ancienne école en salle des fêtes, construit un parking avec abribus pour les transports scolaires, construit une modeste bibliothèque, refait la toiture de l’église, acheté le dernier bar-restaurant en péril, aménagé trois logements sociaux, enfoui les réseaux électriques et éclairage public dans le bourg, installé l’éclairage public dans les hameaux, créé deux bassins de laminage de crues suite aux inondations de 2001, etc. L’installation des personnels de la centrale a redynamisé et rajeuni la commune et boosté le commerce local, les associations et l’emploi.

EDF s’empresse de rassurer sur quant à l’avenir des fonds apportés par la taxe professionnelle. Selon le groupe : « Les collectivités territoriales d’implantation des centrales électriques perçoivent des recettes d’un niveau comparable à celui d’avant la réforme. Ces nouvelles dispositions ne remettent nullement en cause le soutien qu’apporte la centrale de Belleville à son environnement local. »

De même les 16 millions de commandes annuelles passés en 2010 dans la région sont très répartis entre six départements. Avec « seulement » 1.454 008 d’euros, le Cher est loin de toucher le gros lot : l’Indre-et-Loire, le plus gros bénéficiaire, touche ainsi 11.165.828 euros, suivi par le Loiret, 2.965.226 euros.

Enfin, on rajoutera toute une série d’actions du CNPE qui, souci d’image oblige, privilégie « l’environnement, la solidarité et la culture ». En 2010, 26 projets ont ainsi été menés en partenariat avec des acteurs locaux, pour un montant de 26.500 euros ; des jeunes sont pris en alternance, des stagiaires des établissements du coin, etc.

Quant aux élus locaux, ils ont créé récemment la communauté de communes Haut Berry-Val de Loire, afin de cesser de « concentrer artificiellement sur le sol bellevillois des équipements à portée intercommunale au profit d’une distribution plus harmonieuse d’installations dites structurantes sur le territoire des 7 communes.» [pdf].

Si Belleville la désormais bien nommée a reçu plus d’argent que ses voisines, c’est grâce à la taxe sur le foncier bâti : la centrale étant bâti aux 4/5 sur Belleville, le 1/5 sur Sury. Un mécénat pour les coquetteries dont s’enorgueillit  le maire. À l’heure où nous publions, EDF n’a pas été en mesure de nous fournir ce chiffre.

Le fruit de cet argent ? Un village bien propre sur lui, qui dégage une impression d’aisance dans un contexte local plutôt morose. Il n’est que de voir la rangée de magnolia qui accueille le passant quand on entre côté campagne ou bien encore les allées bordées de pavillons. Une de ces curiosités urbanistiques françaises, que nos arrières-petits enfants visiteront peut-être, comme témoin d’une vision passée de la politique énergétique de leur pays.

Le maire y voit lui « un développement anarchique centrifuge », avec une « absence de centre-bourg », conséquence du « sous-dimensionnement intellectuel » des élus d’alors. Un rapport de la chambre régionale des comptes portant sur 1990-1995 [pdf] montre de fait que la gestion n’a pas des plus rigoureuses et que certains en ont profité. Alors il faut « recréer du lien » à grand coups d’espaces végétalisés.

Intégrer cette population

L’implantation des agents EDF sur place témoigne des disparités entretenues par l’industrie nucléaire pour plaire à chacun. Déboulant avec leur emploi fixe, une facture d’électricité réduite et une maison à loyer modéré, ils ont gagné un image de privilégiés.

C’est sur le long temps, les gens apprennent à se connaître, tempère le maire, ça va à peu près. Ce n’était pas évident, il y a eu une phase d’observation avec les autochtones, ils se regardaient un peu en chien de faïence. Le brassage s’est fait dans les écoles, les associations. Et puis il y a des idées reçues sur les salaires, on disait “les EDF”, à la sortie des écoles…

Objectivement, Belleville possède effectivement le salaire moyen net par actif le plus élevé, et on peut penser que ce n’est pas un hasard : il s’élève à 1.931 euros, contre 1.592 euros à Bonny-sur-Loire par exemple.

« Je n’ai pas que des amis d’EDF », poursuit Delphine, chimiste à la centrale, épouse et fille d’un agent EDF et une maison flambante neuve de 140 m2, dotés de 2.000 m2 de terrain ornés de jeux pour ses deux enfants. Comme une partie des personnels installés définitivement, son couple a préféré acheter que de rester dans la cité EDF où ils ont logés à leur arrivée. Oui, c’est vrai « montrer deux fiches de paye EDF, cela aide pour avoir un emprunt de quinze ans à la banque », mais la jeune maman ne se sent pas plus privilégiée que cela. « Je suis resté en contact avec des amies de l’IUT, quand on compare nos salaires, certains sont moins bien payées, d’autres davantage, je suis dans la moyenne. » Et elle balaye en riant l’idée qu’il y aurait une « vocation EDF », l’envie de bénéficier à son tour du cocon. On ne rêve pas de bosser dans une centrale.

La très chic cité de Neuvy, longtemps réservée aux cadres locaux d'EDF.

Pour atténuer ce clivage, un quota de locaux a été instauré. Certains agents, originaire de la région, en ont aussi profité pour se faire muter. C’est ainsi que Claude a pu s’installer dans sa maison familiale à Neuvy-sur-Loire (58), avec sa femme, également retraitée de la centrale. Sa double casquette EDF/autochtones a facilité l’intégration, en l’occurrence la réintégration. Chanceux son couple ? Non pas particulièrement, « la région a eu de la chance », nuance-t-il. Il reconnait quand même que partir en retraite à 55 ans comme ils ont pu le faire n’est pas désagréable. Mais d’aller dans le sens de Delphine : si un de ces fils travaille aussi chez EDF, c’est parce qu’il n’a pas eu le choix, dans un département de la Nièvre célèbre pour ses plans sociaux.

Dans les hauteurs du village, on aperçoit ce qui fut « la cité des cadres », « une connerie », selon le maire. Mais maintenant, on y croise aussi des agents de maitrise, voire des extérieurs, puisque les maisons sont proposées à la vente aux nouveaux arrivants. “Mais c’est déjà cher pour nous, commente Jean-Paul, alors pour les autres…” Arrivé en 2009, il se sent plutôt bien intégré : être inscrit au club de chasse du village, cela aide. En revanche son collègue Jean-Philippe, installé en septembre 2010, quitte les lieux chaque week-end : « on est à 100 bornes de tout », explique-t-il. C’est sûr que ce grand fan de BD a un peu de mal à satisfaire sa passion dans les librairies locales ou les hypermarchés.

Mariage de long terme avec une épouse laide mais bien dotée

On ne peut pas vraiment dire que toutes ces personnes croisées se distinguent particulièrement : certes la stabilité de l’emploi dans une entreprise qui ne sous-paye pas ses salariés leur a épargné quelques angoisses courantes dans une région qui ne brille pas par l’attrait de son bassin d’emploi. Pourtant, à écouter Bruno, pas de doute : « ils ne sont pas trop intégrés. » Ce maçon qui loue ce qui fut un pavillon EDF dans une des cités de Belleville, assène tranquillement : « Vous mettez des gens EDF et des gens normaux (sic), ça se voit la différence. Ils montrent qu’ils ont plus de sous, ça se plaint que ça paye 300 euros d’électricité par an. Même quand il y a des fêtes, ils ne sont pas mélangés avec nous. Ils sont plus fiers, mieux habillés, pas en tenue de boulot comme nous », détaille-t-il en désignant son bleu de travail sale. « Je ne suis pas le seul à penser ça… » conclut-il.

En revanche, il n’a rien contre la centrale : « ça aurait même été mieux qu’il y ait quatre tours, ça fait du boulot », avance-t-il. Car telle est le sort de ce centre de production, épouse de raison, guère sexy mais à la dot solide. « Je suis pro-nucléaire par pragmatisme, qui aime le nucléaire par passion ? Il faudrait être maso », lance Vincent Frégeai. S’il a laissé de côté le lobbying pro EPR, un temps portée par l’association EPR Belleville Cap 2015, il caresse plutôt l’idée d’un troisième réacteur : « Les communes du coin ont été consultées pour l’installation d’une nouvelle cité EDF, les anciennes sont en fin de vie, on est peut-être pas loin d’avoir le troisième réacteur… » De quoi prolonger la vie du site, dont le démantèlement des deux premières unités ne devraient pas intervenir avant une bonne vingtaine d’année.
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Photo CC [by -nc - sa] Sabine Blanc, avec l’assistance de Ophelia

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